Le complotisme, en distordant la réalité et en alimentant la méfiance envers les institutions fondamentales pour la démocratie, constitue une menace sérieuse pour les sociétés démocratiques. Sa propagation peut conduire à une polarisation extrême et à une dégradation de la confiance dans les processus démocratiques, ce qui explique que l'affaire Jean-Michel Trogneux, actuellement médiatisée en France, suscite des inquiétudes.
Aux États-Unis, les ramifications du complotisme se manifestent de manière alarmante, notamment à travers des mouvements tels que QAnon, qui propagent des théories du complot farfelues. Mais aussi farfelues et invraisemblables soient-elles, ces théories du complot peuvent engendrer des incidents tragiques et nuire à la démocratie.
L'exemple le plus connu, parce qu'il permet de souligner les dangers réels que ces croyances peuvent engendrer dans une société, est celui du « pizzagate ». En décembre 2016, un homme armé est entré dans la pizzeria Comet Ping Pong à Washington, affirmant qu'il cherchait à sauver des enfants supposément retenus dans le cadre d'un prétendu réseau de pédophilie, avec des proches d'Hillary Rodham Clinton, à l'époque candidate aux élections présidentielles américaines, à sa tête.
Malgré les coups de feu, aucun blessé n'a été signalé lors de cet incident, mais il a mis en lumière les dangers réels de la désinformation en ligne et la façon dont les théories du complot peuvent conduire à des actions dangereuses dans la vie réelle. On remarque que ce phénomène ne touche pas que les États-Unis.
En France, la plus célèbre des théories du complot est celle voulant que l'épouse du président Emmanuel Macron, Brigitte Macron, serait une femme transgenre née sous le nom de Jean-Michel Trogneux. Depuis quelques années, cette rumeur occupe une place importante sur les réseaux sociaux, avec le mot-dièse #JeanMichelTrogneux, et a pris une dimension internationale au cours des derniers jours en étant relayée par la commentatrice politique américaine Candace Owens, proche de l'ex-président Donald Trump et associée à l'extrême droite américaine.
La rumeur est suffisamment importante pour qu'Emmanuel Macron prenne la peine, le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, de réagir à ces humiliations qui ne sont que de fausses informations, basées sur rien, qui l'attaquent jusque dans son intimité et celle de sa famille. Cependant, est-ce suffisant pour réfuter ce genre de rumeur?
Ce que démontre cette rumeur transphobe autour de Brigitte Macron, c'est que les débats politiques français sont de plus en plus parasités par des théories du complot, ce qui n'est pas sans rappeler la situation aux États-Unis. Tout comme les théories du complot américaines les plus efficaces, cette théorie touche les élites au pouvoir en frappant l'imaginaire par des images simples de scandales, souvent sexuels, plutôt que de complexes affaires de corruption et de politiques publiques.
En plus du « pizzagate », qui concernait Hillary Rodham Clinton, on peut penser, en 2020, aux nombreuses thèses conspirationnistes prêtant au président Joe Biden des comportements inappropriés avec des enfants. Quelques années auparavant, il y avait eu des théories conspirationnistes sur la citoyenneté de Barack Obama qui insinuaient qu'il n'était pas né sur le territoire des États-Unis, et donc de ne pouvait être éligible à la fonction de président des États-Unis tel que le requiert l'article II de la Constitution américaine.
On semble assister non pas à une américanisation, mais à une « trumpisation » de la politique française. Ce phénomène pourrait se propager dans d'autres démocraties si ce n'est pas encore fait.
Il y a une volonté chez les complotistes de semer le doute et la confusion afin de briser la confiance envers les institutions démocratiques. L'efficacité de cette rumeur transphobe à se répandre est inquiétante parce qu'elle n'est peut-être que la pointe de l'iceberg.
Si la machine à rumeur fonctionne, même pour propager des rumeurs les plus farfelues, rien n'empêche d'utiliser cette même machine pour propager, par exemple, des rumeurs de fraudes électorales et d'élections truquées. C'est ce que nous avons vu aux États-Unis et qui a mené l'invasion du Capitole du 6 janvier 2021.
Ainsi, ce genre de rumeur peut avoir des effets dévastateurs pour la démocratie. C'est pourquoi une rumeur transphobe, aussi aberrante soit-elle, doit inquiéter.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 30 mars 2024: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2024/03/29/jean-michel-trogneux-ou-le-complotisme-a-la-francaise/