Mes meilleurs romans graphiques - Raconter le monde autrement
DIRTY POLITICS #27 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
Une sélection de BDs pour la rentrée !
La BD occupait une place centrale dans mon univers personnel bien avant la publication du Président, aux Arènes, coécrite avec le dessinateur Morgan Navarro. J’ai quasiment grandi dans un magasin de BDs. Ma mère en achetait tellement que j’ai compris qu’elles constituaient une partie de son rapport au monde. Dans sa vie heurtée, marquée par le drame et la solitude - une solitude d’enfant, pleine, absolue -, les cases de BD ont été un moyen d’apprivoiser l’existence. Mes éditeurs, Laurent Beccaria et Laurent Muller, puis Les Clés de la bande dessinée de Will Eisner, m’ont appris que tout reposait sur l’art de l’ellipse. Ne pas tout dire, laisser le lecteur écrire. Pour ma mère, l’ellipse a été un art de la résilience.
L’intime et le politique se rejoignent dans Edgar de Matthieu Sapin, qui sort le 6 octobre chez Dargaud. Une BD consacrée à son “beau-père révolutionnaire” portugais. Mathieu m’en a parlé avec beaucoup d’émotion. Les planches que j’ai vues, “de Lisbonne à Paris”, sont magnifiques. C’est un énorme travail. Je suis comme vous, j’ai hâte de le lire. Je vous en reparlerai quand je l’aurai eu entre les mains.
Elle a donné lieu à un film de Pierre Jolivet, Les Algues Vertes, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, coproduction de l’excellente Revue Dessinée et de l’éditeur Delcourt, est une enquête en BD sur les ravages de l’agriculture intensive en Bretagne. Vous apprendrez un pan de notre histoire collective que vous ne soupçonnez pas. Ou comment l’agriculture intensive a d’abord été un choix, au sortir de la seconde guerre mondiale. Un choix radical, qui a détruit les structures traditionnelles de la ruralité française. Avant de devenir un piège, dont les agriculteurs ne sortiront sans nous. Les Algues Vertes, c’est un pan de l’histoire de France.
Autre histoire, américaine celle-ci, avec le superbe Lomax de Frantz Duchazeau, chez Dargaud. Je l’ai découvert par hasard, à Nantes, où la grande librairie Durance avait eu la bonne idée de mettre en avant les ouvrages consacrés au sud des Etats-Unis. Vous le savez, au moins depuis la parution d’Une histoire populaire des Etats-Unis, signée par l’historien Howard Zinn - adaptée au théâtre par Morgan Freeman et Matt Damon -, les livres d’histoire s’intéressent d’abord aux vainqueurs. Comme si la Rome Antique se résumait à la Vie des douze Césars de Suetone. Notre imaginaire est celui des vainqueurs. Lomax raconte une histoire populaire.
Au service de la librairie du Congrès américain, Alan Lomax et son père ont pisté et enregistré les bluesmen américains, dans un sud des Etats-Unis encore féodal, où de vrais artistes étaient aussi de vrais paysans, passant d’une plantation de coton à l’autre. Depuis, leur musique a conquis la planète. Le travail des Lomax a été essentiel pour l’émergence du rock, du rap et de beaucoup d’autres mouvements musicaux.
Vivant à la fois au coeur des exploitations, où la musique était omniprésente et rythmait le travail des champs - si vous écoutez de la musique au bureau, sachez que cette pratique a une histoire -, et à la marge, ils finissaient souvent en prison ou assassinés. Comme Robert Johnson - l’un de mes bluesmen préférés et l’un des plus grands - auquel Frantz Duchazeau consacre sa prochaine BD, à sortir en janvier.
Il y a une petite histoire au sujet de cette BD. Frantz Duchazeau raconte sur son compte Instagram comment un livreur a perdu les planches originales et comment l’un de ses fans a fini par les récupérer, après les avoir rachetées à un SDF. C’est une forme d’hommage à Robert Johnson, qui jouait souvent dans la rue. Comme beaucoup de bluesmen, il prétendait avoir reçu du diable, croisé à un carrefour, le don de jouer de la guitare. Peut-être le diable s’est-il amusé.
On pensait, naïvement, que ce serait la fin de l’Histoire. Le tome 2 de la série Slava, de Pierre-Henry Gomont, chez Dargaud, nous parle de la Russie d’après la chute du mur. Et de l’avènement des “nouveaux russes”. Il y a quelque chose de balzacien dans cette archéologie de la Russie d’avant Poutine, au-delà du graphisme, qui est sublime. J’ai découvert Pierre-Henry Gomont dans une galerie d’art, avant de lires ses BDs. On aimerait que ses albums ne finissent jamais. Pour développer, amplifier encore l’histoire de Lavrine. Un personnage d’une telle amplitude littéraire qu’il finit effectivement par “tout avaler”, comme le dit Pierre-Henry Gomont. Les Russes tels que les dépeint l’auteur semblent, tous, dans une forme d’exil intérieur. “The world, Chico, and everything in it”.
Enfin, l’Enfer de Dante des frères Brizzi, chez Daniel Maghen Editions, est un travail d’une justesse et d’une délicatesse absolues. On croise de grandes figures de cette errance : Virgile, Charon, Diogène, le Minotaure, Lucifer… On pense au travail de Fellini dans le Satyricon ou de Pasolini dans Oedipus Rex. “L'Antiquité n'a peut-être jamais existé, disait Fellini. Mais il ne fait aucun doute que nous l’avons rêvée.” L’histoire comme une intuition du tragique.
Cette intimité immédiate avec un sujet, aussi complexe soit-il, et cette qualité de résilience, expliquent le succès du roman graphique. Le roman graphique nous aide à grandir.
Ce qui s'appelle avoir du pain sur... la planche. Merci Philippe pour ta lettre, toujours stimulante et informative.
Merci pour ces infos BD!
Bonne rentrée à tous!