Brigitte Macron et le "domaine réservé" de la "première dame" - Ce que veut dire l'élection de George Santos
DIRTY POLITICS #20 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
Brigitte Macron est la meilleure communicante d’Emmanuel Macron. En 2017, elle procure au candidat d’En Marche des avantages décisifs : une épaisseur humaine, une inscription dans le temps et la capacité de séduire des segments-clés de l’électorat, dont les retraités, qui votent pour lui à plus de 70%, avec un taux de participation avoisinant les 90%.
Son couple permet à Emmanuel Macron de figurer sur de très nombreuses couvertures de Paris Match, en pleine année électorale. Pour un politique médiatique, la “une” de Match garantit une audience, mais aussi - et surtout - de figurer en grand format sur l’ensemble des kiosques de France, pendant toute une semaine. Hors campagne officielle, c’est-à-dire quand l’affichage électoral est encore interdit - du moins pour les malheureux qui n’ont pas accès à la une de Match.
Pour mener à bien ces opérations, Brigitte Macron recrute la “reine des paparazzis” Mimi Marchand. J’ai pris beaucoup de plaisir, avec le dessinateur Morgan Navarro, à mettre en scène Mimi Marchand, avec qui j’ai eu effectivement l’occasion de déjeuner, dans notre BD “Le Président”.
Par sa présence et son travail, Brigitte Macron permet à son mari de ne pas être un leader centriste de plus, face à un François Bayrou que son égo de géant empêche de “marcher” avec les autres, et de raconter une vraie histoire au pays. Sans elle, il est un politicien comme un autre, menacé par la banalité du “en même temps”, et dont les fulgurances - comme ses one-man show politiques de 7 heures face aux Gilets Jaunes - ne compensent pas le manque d’ancrage personnel.
L’écrivain William Styron note dans sa préface à l’édition américaine de La paille et le grain, l’ouvrage de François Mitterrand : “Mitterrand a cette habitude des bons écrivains de percevoir l’immanence à travers le contingent, le particulier, le détail révélateur. Il est assez rare, dans les écrits d’un homme politique, d’être saisi par des couleurs et des odeurs, par la vérité d’une présence humaine, la vérité de la chair.” Son tout premier acte officiel, ajoute Styron, a été de donner la nationalité française à des écrivains en exil, dont Milan Kundera. Mitterrand était tangible. Brigitte Macron rend Emmanuel Macron tangible.
C’est une règle non écrite des collaborateurs politiques : leur tâche la plus urgente est toujours de faire le vide autour de “leur” candidat. Au lendemain de la victoire de 2017, les “boys” d’Emmanuel Macron déclarent la guerre au cabinet de Brigitte Macron, qui connaît une forme d’éclipse. Pour citer le par ailleurs très discutable monologue d’ouverture des Infiltrés de Scorcese : “No one gives it to you, you have to take it”.
Poussée vers le placard, Brigitte Macron réagit. En créant, et c’est une première sous la Cinquième République, un “domaine réservé” pour l’épouse du Président de la République. Que le seul texte régissant le cabinet et les moyens financiers qui lui sont attribués - la “Charte de transparence” publiée par l’Elysée en 2017 - appelle la “conjointe du Président de la République”. Ce domaine, c’est l’Education.
C’est Brigitte Macron qui, en 2016, “repère” Jean-Michel Blanquer. Dans son livre Madame la présidente, la journaliste politique Nathalie Schuck parle de “coup de foudre intellectuel”. “Jean-Michel Blanquer, qui à l'époque est totalement inconnu du grand public, vient présenter un livre, L'École de demain, dans le Club de la presse sur Europe 1, raconte la journaliste. Elle décide d'acheter son livre, d'en faire une fiche. Et le soir même, elle dit à son mari : “Lui, il faut que tu le reçoives, que tu le rencontres”.”
"Elle m'avait entendu à la radio quand on ne se connaissait pas encore, confirme le ministre lors de son passage dans Touche pas à mon poste. Elle a apprécié ce que j'avais dit et donc elle en a parlé avec son mari". Quelques mois plus tard, il entre au gouvernement.
Brigitte Macron place ce ministre, qui partage ses idées, ouvertement sous sa tutelle. Elle multiplie les déplacements dans les établissements scolaires à ses côtés. Elle le protège en cas de polémique. Elle multiplie, également, les prises de position. Contre le harcèlement scolaire, mais aussi contre l'usage du pronom "iel" à l’école, l’écriture inclusive ou la fermeture des écoles en pleine épidémie de COVID. Des écoles dont elle obtiendra la réouverture en urgence auprès de l’Elysée, sans même prendre la peine de consulter le ministre.
Sa sortie la plus récente, en faveur du port de l’uniforme à l’école, est aussi l’une des plus problématiques, puisqu’elle coïncide avec le dépôt d’une proposition de loi du RN sur le sujet.
On peut relativiser en notant, comme le journaliste Jonathan Bouchet-Petersen sur France Inter, que : “il n’est pas simple d’être ministre de l’Education nationale quand la femme du président a elle-même été enseignante, a fortiori quand ce fut dans le privé”. Et que la “première dame” intervient dans d’autres domaines, comme sur la réforme des retraites. On peut trouver son engagement folklorique, comme quand Yann Barthès s’amuse de voir Brigitte Macron faire la dictée en classe.
Sauf que ces positions constituent bel et bien une politique, que cette politique est suivie depuis 2017, et qu’elle continue à l’être, en dépit du changement de titulaire ministériel.
Il n’a fallu que quelques mois à Pap Ndiaye, un intellectuel venu de la gauche, défenseur des minorités, pour s’aligner sur les positions conservatrices de l’épouse du Chef de l’Etat.
Dans un article intitulé “Pap Ndiaye sous la coupe discrète de Brigitte Macron”, l’Opinion s’étonne de cette transformation pour le moins radicale : “Le ministre de l’Education nationale adopte un discours de fermeté sur la lecture, le calcul et la dictée, dans la droite ligne des convictions de l’épouse du chef de l’Etat (…) Au lendemain de confidences de Brigitte Macron sur ses convictions en la matière (…) Les résultats en sixième ? “Pas satisfaisants”. Les méthodes pédagogiques des profs ? “Il y a des efforts à faire”. Brigitte Macron, en guerre contre la méthode globale en lecture ? “Elle a du métier”. Et la salve “réac” se poursuit”.
Brigitte Macron est-elle un “ministre bis de l'Education nationale” ?, s’interroge Jonathan Bouchet-Petersen, qui note que “son aversion pour l’écriture inclusive n’est pas un secret, tout comme sa défense d’une pédagogie très classique… Elle vante par exemple les “bienfaits” de la méthode syllabique et du “par cœur”... Autant d’axes que défend également Pap Ndiaye, qui déroule un discours de plus en plus ferme sur la maîtrise des savoirs de base - lire, écrire, compter”.
Quand Pap N’Diaye se hasarde à livrer ses propres opinions, comme lorsqu’il s’oppose au port de l’uniforme à l’école, Brigitte Macron n’hésite pas à le recadrer publiquement. Sans que l’Elysée n’intervienne.
"Blanquer, c'est le ministre de Brigitte", avait résumé un conseiller élyséen en off dans le JDD. Le ministre… ou le ministère ?
L’affaire George Santos est l’une des affaires politiques les plus fascinantes du moment. Voici un homme politique américain qui s’est fait élire député pour le Parti Républicain dans une circonscription historiquement démocrate de la Côte Est, en mentant sur l’intégralité de son CV. Avec la particularité de cumuler des positions à la fois radicalement “woke” et radicalement… pro-Trump. Une méthode de campagne rendue possible par notre enfermement dans des bulles médiatiques de plus en plus étanches. Une excellente analyse de Bill Maher dans cette vidéo.
Si vous vous intéressez aux “premières dames” et à leurs stratégies politiques, vous lirez cet excellent article de la Newsletter politique Yello, qui se penche sur le cas de Michèle Obama, mais aussi sur celui de Betty Ford : “On a diagnostiqué à Mme Ford un cancer du sein quelques semaines seulement après l'entrée en fonctions de son mari, en 1974 (…) Les conseillers politiques du président avaient dit à Betty qu'elle n'avait pas à rendre public un sujet aussi personnel, mais (…) une fois qu'elle a découvert le nombre de femmes qui mouraient de cette maladie, encore taboue, elle a dit à ses collaborateurs qu’ils devaient publier une déclaration pendant qu'elle était sur la table d'opération, pour dire qu'elle subissait une mastectomie". Résultat : elle “a reçu plus de 50 000 lettres après avoir annoncé son intervention et a incité les femmes à se faire examiner pour le cancer du sein, ce qui a conduit à une hausse de 15% des diagnostics aux États-Unis”. Ou comment ne pas faire de sa santé un sujet tabou quand on est au pouvoir peut, simplement, aider les autres.
A lire !