Ces complotistes qui nous gouvernent
DIRTY POLITICS #33 - La Newsletter de Philippe Moreau Chevrolet
“Peut-être que le changement climatique est une réalité”
Cette phrase est de Chris Nelson, un influenceur de Floride. Chris a connu la gloire en organisant des manifestations contre le port du masque, au plus fort de l’épidémie de COVID-19. Son mariage avec une autre militante antivax a été très médiatisé par la presse locale, qui a constaté, notamment, la présence d’une “militante d’extrême-droite et journaliste (…) bannie de Twitter, Instagram, Facebook, PayPal, Venmo, GOFundMe, Uber et Lyft pour ses propos hostiles aux musulmans”. Un beau palmarès.
Chris se présente tantôt comme “membre de l’industrie du divertissement”, “journaliste d’investigation” ou “vidéaste”. Il est, surtout, un soutien inconditionnel du gouverneur républicain Ron De Santis, connu pour sa politique antivax, anti-avortement, anti-intellectuels, anti-LGBTQ+, anti-Walt Disney, pro-armes à feu et son ralliement à Donald Trump dans la primaire républicaine.
Chris Nelson fait cette déclaration dans une interview avec Julien Pain, qui anime l’émission “Vrai ou Faux”, sur France Info.
Voici le dialogue. Je vous dirai ensuite pourquoi il est important. A quel point il est, même, vital pour notre démocratie, en 2024.
“Chris Nelson - Je vais même vous dire ceci : peut-être que le changement climatique est une réalité. Peut-être que la science le dit vraiment.
Julien Pain - Vous ne pensez pas que le changement climatique est réel ?
CN - Je suis ouvert à ce que les gens ont à dire. Il est tout à fait possible qu’il y ait un changement climatique sur Terre. Mais en revanche, je ne pense pas qu’il y ait la moindre preuve que ces voitures qui roulent, ici, le provoquent.
JP - Si, si.
CN - Non, non, non.
JP - Beaucoup d’études scientifiques et de travaux de terrain le montrent.
CN - Al Gore nous disait toujours : nous n’avons plus que 10 ans avant que le niveau de la mer monte !
JP - Mais vous pouvez voir que le climat change. Vous pouvez voir qu’il fait de plus en plus chaud, qu’il y a plus d’ouragans. Vous voyez bien les choses se produire.
CN - Je garde l’esprit ouvert.
JP - Le changement climatique est un fait. Des scientifiques du monde entier le disent.
CN - Qu’est-ce que la science ? Est-ce que je dis que ça n’arrive pas ? Je vous dis que je suis ouvert à l’idée.
JP - Vous doutez ?
CN - Bien sûr ! La science, c’est le doute.
JP - Mais vous n’êtes pas un scientifique et moi non plus. Si les scientifiques les plus éminents disent tous la même chose, à un moment, il faut les écouter, non ?
CN - Pas nécessairement, non. Mais je vous l’ai déjà dit : je suis ouvert à l’idée. Peut-être qu’il y a un changement climatique.
JP - Le climat change !
CN - Vous me faites penser à un témoin de Jéhovah. Vous essayez de m’imposer votre religion.
JP - La science n’est pas une religion.
CN - Mais peut-être qu’elle est une religion. Je crois que Dieu tient la terre entre ses mains. L’humanité se croit beaucoup plus importante qu’elle n’est en réalité. Nous pensons avoir un impact beaucoup plus grand que nous n’en avons en réalité. Vus du ciel, nous ne sommes que des petites fourmis. Je pense que nous aimons entretenir l’idée que nous pouvons changer le climat de la Terre. Mais je ne pense pas que ce soit le cas.”
Pourquoi ce dialogue est-il si important ? Parce qu’aux Etats-Unis, mais le mouvement arrive en France, les antivax, et les complotistes en général, sont devenus une force politique à part entière.
C’est Politico qui l’a le premier constaté, dans une série d’articles très remarquée, parue en septembre dernier.
En voici des extraits :
“Le mouvement anti-vaccins est devenu une force politique moderne. Concrètement, des fonds plus importants permettent aux groupes d'élargir leur audience, de poursuivre les agences du gouvernement et d'organiser des militants partageant les mêmes idées au plan local, ainsi que d'étendre leur portée à l'étranger”
(…)
“La généralisation d'un mouvement autrefois marginal a horrifié les responsables fédéraux, qui lui reprochent d'alimenter de dangereuses théories du complot”
(…)
“Ceux qui tentent encore d'avancer ont déploré leur incapacité à suivre l'évolution rapide des conspirations qui se répandent sur les médias sociaux, les laissant submergés par le flot de mythes et d'idées fausses qui gagnent du terrain avant que le gouvernement ne puisse organiser une réponse.”
(…)
"Il s'agit d'une guerre asymétrique par définition, a déclaré un ancien responsable de la santé qui a travaillé sur les messages de santé publique de l'administration (…) Avoir raison est tout à fait insuffisant pour remporter un débat public".
Avoir raison est tout à fait insuffisant pour remporter un débat public : c’est ce que nous enseigne l’échange entre Julien Pain et l’influenceur Chris Nelson.
Quels sont les axes du dialogue ? Chris Nelson n’a aucune qualification. Ni sur le plan médical ni sur le plan environnemental. Il faut noter que c’est lui qui se positionne sur ces sujets, de sa propre initiative. Il fait un choix. On peut, donc, tout à fait légitimement lui objecter sa méconnaissance du sujet. Ce que fait Julien Pain. Mais Chris Nelson contre-attaque aussitôt en utilisant un argument-phare, qui est au coeur de la propagande complotiste : la science n’est pas un fait, mais une opinion.
Ceux qui défendent la science comme une vérité sont, donc, des fanatiques - les “témoins de Jehovah” - ou les agents d’un système corrompu.
La plus grande force du complotisme est de retourner la méthode scientifique, effectivement basée sur “le doute” et l’hypothèse, contre la science, dans un but de domination politique. “Tu as raison, m’a dit une amie récemment. Je vois bien que le climat change. Mais j’aime bien avoir tous les points de vue”. Que répondre à cela ? Et quelles seraient les conséquences si un mouvement complotiste parvenait au pouvoir ?
Ces interrogations seront au coeur de la conférence que j’animerai le 20 mars à 18h30 à Sciences Po au 1, Place Saint Thomas d’Aquin avec (de gauche à droite) : Rudy Reichstadt, de Complorama, Charlotte Jacquemot, chercheuse au CNRS et Directrice du Département d’études cognitives de l’ENS, Julien Pain de Vrai ou Faux, et Bruno Cautres, chercheur au CEVIPOF, membre des comités de rédaction de la Revue Française de Science Politique et de la Revue Française de Sociologie.
Vous êtes comme toujours les bienvenus. Nous organisons cette conférence grâce à l’aide d’Emiliano Grossman, Directeur du Centre de données socio-politiques (CDSP) de Sciences Po Paris et Claudia Castiglioni, Responsable pédagogique au sein de l’Ecole des affaires publiques (EAP) de Sciences po. L’entrée est libre. Bonne semaine à tous !