DIRTY POLITICS #10 - Bolloré est arrivé - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet - Numéro #10
DIRTY POLITICS #10
Bolloré est arrivé
Vincent Bolloré est entré dans la campagne présidentielle. Dans notre BD "Le Président", parue aux Arènes, nous en avions fait avec mon complice Morgan Navarro, un Frankenstein dépassé par sa création, Cyril Hanouna. Dans son étude sur TPMP, qui a fait grand bruit cette semaine, la chercheuse au CNRS Claire Sécail lui prête un "agenda politique". Pour le journaliste Marc Endeweld, qui le confie à Natacha Polony - avec qui je partage l'antenne sur BFMTV chaque lundi à 20h dans Polonews -, son agenda serait purement "business". Eric Zemmour serait un "homme de paille" du PDG dans la campagne, dans le cadre d'un bras de fer avec Emmanuel Macron, sur des sujets économiques. La candidature d'Eric Zemmour serait un peu comme Cuba en 1962 : le théâtre d'une guerre froide. Coïncidence, Vincent Bolloré a dû s'expliquer, devant le Sénat. Ses arguments ? Eric Zemmour "était connu et vendait des livres bien avant d’être sur CNews". Autrement dit : ce n'est pas sa création. Il a investi dans les médias "depuis 20 ans". Et il a la volonté de créer un "champion de la culture française". Dont la taille est "minuscule" face aux GAFAM.
Pour une amie journaliste britannique sur Whatsapp, la France a trouvé en Vincent Bolloré "son" Rupert Murdoch. Un milliardaire "qui s'est toujours vécu comme un outsider", à la tête des médias parmi les plus populaires de son temps, et à qui on suppose une influence politique. Comme l'a raconté dans ses extraordinaires mémoires - The Blair Years - son conseiller en communication, Alastair Campbell, Tony Blair était allé prêter allégeance à l'australien Rupert Murdoch sur Hayman Island, en plein milieu de la barrière de corail, en 1995. Soit deux ans avant son élection. Cet appui a-t-il "fait élire" Tony Blair ? Non. Mais comme le note sobrement un conseiller cité par Alastair Campbell : "Quand vous êtes un candidat travailliste dans un pays conservateur, vous mettez toutes les chances de votre côté". Paradoxalement, toute cette polémique intervient alors que Vincent Bolloré a annoncé son intention de prendre... sa retraite. L'Express devrait consacrer sa couverture cette semaine à ce "Succession" à la française. Avec une grande question résumée par Kendall Roy...
Cyril Hanouna est-il pro-Zemmour ? C'était "le" débat de la semaine sur TPMP, auquel j'ai participé. Et l'objet de mon désaccord avec la chercheuse Claire Sécail, pour qui l'animateur de TPMP est un "relais direct de propagande" d'Eric Zemmour. Je ne pense pas que ce soit le cas. TPMP est un objet hybride, à mi-chemin entre la télévision... et les réseaux sociaux. Ou comme me le confie un ami communicant en DM : "Cette émission est une sorte de pointe avancée d'un média qui imbrique complètement TV et réseaux sociaux, où tout est conçu pour gonfler les audiences et engager les "fans". Dire qu'il a un agenda d'extrême-droite me semble passer à côté du sujet." L'habileté de l'émission politique "Face à Baba" est, par exemple, d'alterner moments d'adoration et de détestation d'un même personnage. C'est un piano émotionnel, fait pour maximiser l'engagement des "pour" et des "contre". Au bénéfice d'une audience qui se calcule aussi sur les réseaux sociaux. La "méthode" Hanouna est détaillée dans ces extraits de son livre, repris par le communicant Thierry Herrant sur Twitter:
Comme l'explique Thierry Herrant: "Si Cyril Hanouna éditorialise en se basant sur les réseaux sociaux, où la mobilisation pro-Zemmour conduit - c'est observable - à une surreprésentation permanente, mécaniquement les sujets associés finissent par être sur-représentés aussi dans son émission. C'est un biais réel." Un biais d'autant plus présent que la réalité "observable" des réseaux sociaux peut aisément être... manipulée. C'est ce que l'on appelle "l'astroturfing": simuler, à l'aide d'une poignée de militants, et une infinité de faux comptes, un mouvement de masse sur les réseaux sociaux. C'est, d'ailleurs, la stratégie "assumée" du camp Zemmour, comme l'explique Le Monde dans cette vidéo.
Comme l'indique Claire Sécail, TPMP touche principalement les jeunes, "privilégiant davantage les médias sociaux que les programmes TV traditionnels pour s’informer", les employés, les ouvriers et les chômeurs. TPMP crée un espace de dialogue. De la même façon que "Face à Baba", par son dispositif même, innove dans le registre des émissions politiques et peut attirer de nouveaux publics. Dans une campagne atone, faut-il se placer sur la défensive face à ce type de formats ? Ou comprendre les nouvelles mécaniques d'audience, et s'y adapter ? C'est la question, passionnante, posée par Cyril Hanouna à l'ensemble des médias politiques. Avec son fracas habituel.
#BLOC-NOTES
Une occasion de se rencontrer !
Le 23 mars, je participerai à la Conférence Stratégies "Spin Doctors" consacrée aux nouvelles tendances de la communication politique : "Une matinée de conférence avec la crème des Spin Doctors français, à la fois pour mieux comprendre le rôle de conseiller en communication politique aujourd'hui et pour décortiquer les phénomènes marquants en cette période de campagne présidentielle, ceux qui vont influencer le scrutin à l'heure des réseaux sociaux et du tout info." C'est à Paris. Pour s'inscrire, c'est par ici. Je serai très heureux de vous y retrouver.
Marine ou Valérie ?
Un journaliste politique que je reçois au bureau cette semaine me fait part du choix - cornélien - auquel serait confronté Reconquête ! Faut-il aller sur le terrain du social pour concurrencer Marine Le Pen, et tenter de capter une partie de l'électorat populaire, ou jouer à fond la carte du libéralisme économique, pour "siphonner" les voix de Valérie Pécresse ? Un ami sondeur m'explique, le temps d'un dîner, que cette tension pourrait "couler" le mouvement Zemmour. L'enjeu est bien résumé par l'ami Jérôme Sainte-Marie dans Le Monde, par ces mots: "Le zemmouriste est en salle, le lepéniste en cuisine." La mise en scène abondante de ce duel au cours du week-end inquiète Johann Sfar qui nous rappelle sur Instagram que la situation électorale n'a plus rien de "normale".
Tout se récupère
En attendant, les Zemmouristes plagient le célébrissime clip de la planche à voile, un classique américain de la publicité politique négative datant de... 2004, pour attaquer la "girouette" Valérie Pécresse. Reconquête ! diffuse son clip via une énième copie de AJ+ ou Brut, déclinée sur Facebook ou sur Twitter, et baptisée "FR+". Le but de "FR+" semble être exclusivement d'attaquer Valérie Pécresse sur sa droite, pour en faire une égérie de "l'islamo-droitisme". Un concept, en soi, très improbable. Cette stratégie s'appuie sur le très problématique site Islamindex.info animé par l'ex-RN Damien Rieu, qui relaie bien sûr "FR+" sur son compte twitter.
Data Yoyo
Faut-il mieux réguler la data politique ? C'est l'excellente question posée par l'ADN cette semaine. De nombreuses plateformes, comme Elyze ou NosLois, collectent désormais des données de nature politique. Qui peuvent aider des candidats ou des puissances étrangères souhaitant interférer avec le vote. Que ces données soient soumises volontairement à un candidat, comme celles des 400 000 personnes qui ont voté en ligne pour la Primaire populaire et "ont dû renseigner leurs noms, prénoms, coordonnées bancaires", via Neovote. Ou revendues ou piratées par des hackers. L'extrême-droite, de son côté, privilégie la collecte de données via le lancement de pétitions. Le spécialiste en cybersécurité Matthieu Dierick plaide pour une meilleure régulation du secteur. Sans data, pas de campagne possible. Il faudrait, a minima, en débattre.
Chapeau !
Le coup de chapeau de Dirty Politics cette semaine va à Dominique Farrugia qui, en dehors d'être l'homme délicieux qu'il est dans la vie, mène un juste combat pour l'accessibilité des handicapés. A soutenir !
L'iceberg dans la pièce
Le prix de l'humour Dirty Politics cette semaine va à... Vincent Dain ! Bravo Vincent !
Tabula rasa
L'image de la semaine c'est bien sûr la rencontre Poutine - Macron, dont la vraie vedette a été... une table d'une taille gigantesque. Un grand nombre de journalistes notent qu'elle a été également été utilisée avec des leaders amis. Pas de conclusion hâtive, donc. Sinon, des boomers ont fait circuler ce gif:
La semaine prochaine, je reprendrai ma série sur “Peut-il/peut-elle gagner l'élection présidentielle ?”, où j'analyserai toutes les raisons pour lesquelles un candidat ou une candidate pourrait l'emporter les 10 et 24 avril prochains. N'hésitez pas à m'envoyer vos coups de coeur, vos coups de gueule, vos réactions et vos analyses à l'adresse dirtypolitics.hebdo@gmail.com Votre courrier est très important pour moi !
Bonne semaine à tous !