DIRTY POLITICS #14 - La fin des Spin doctors ? - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
DIRTY POLITICS #14
La fin des Spin doctors ?
Comment les politiques communiquent-ils en campagne, en 2022 ? Le magazine Stratégies a eu l'idée d'un numéro spécial et d'une conférence consacrés aux "Spins doctors", pour connaître "les nouvelles tendances de la communication politique". Nous l'avons écrit à 30 mains, soit "15 Spin doctors", avec Franck Louvrier, Mayada Boulos, Alexandra Laferrière, Raphaël Llorca, Gaspard Gantzer, Robert Zarader, Frédéric Dabi... J'ai choisi le thème de la téléréalité - des émissions de Magalie Berdah ou de Cyril Hanouna - dans la campagne. L'excellente Mayada Boulos, qui gère la communication de Jean Castex, a traité d'un autre thème qui m'est cher : la "Netflixisation" de la politique française. On en parlait récemment sur France Culture : nous percevons de plus en plus le monde, et la politique en particulier, par le biais des séries. Parce que notre temps d'écran a fortement augmenté depuis le début de la pandémie de COVID-19. Mais aussi parce que les séries politiques ont supplanté les récits initiatiques traditionnels. Les premiers mots de House of cards sont adressés... directement au public, dans un aparté shakespearien : "Power is a lot like real estate. It’s all about location, location, location. The closer you are to the source, the higher your property value". Tout le monde devient, en quelque sorte, complotiste. Pour mieux appréhender, ou rationaliser, une réalité très angoissante. Parce qu'un mauvais scénario vaut mieux que rien du tout. Et cela n'a rien à voir avec le niveau d'éducation ou la classe sociale. Dans l’émission Par Jupiter, sur France Inter, la scénariste de la série Dix pour cent Fanny Herrero confie avoir été contactée par un ministère "pour scénariser des séquences politiques". Ce qu'elle a refusé. TV Mag a une expression magnifique pour résumer cet épisode. Il s'agissait "d'écrire un scénario, non de fiction mais de... réalité."
Scénariser la réalité, c'est en général le rôle attribué aux Spin doctors. Interviewé par Mayada Boulos, le scénariste de Baron Noir, Eric Benzekri - qui prépare une nouvelle série sur eux -, diagnostique pourtant leur "effondrement". Ou plutôt celui de leur "environnement de référence", à l'heure des "réseaux sociaux" et des "post-vérités". Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. Les spin doctors disposent, au contraire, de nouveaux outils, qui leur confèrent une capacité d'action sans équivalent dans l'histoire. Bien au-delà de leurs frontières nationales. Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'analyse des stratégies de communication du Kremlin par l'ami Raphaël Llorca, entre "fermes à trolls" et méthode du "fil de fer" - qui consiste à "tordre" le débat public à ses deux extrémités et en sens contraire... pour le détruire. Aux Etats-Unis, la Russie a subventionné en même temps le mouvement Black Lives Matter et les suprémacistes blancs. Parfois en créant de toutes pièces des groupuscules extrémistes sur les réseaux sociaux. Et en autofinançant leurs activités par la commercialisation d'offres d'influence digitale. On peut tout à fait argumenter que Russia Today ou Sputnik ne sont pas des médias à proprement parler, mais la transposition des "fermes à trolls" dans l'univers audiovisuel. Raphaël Llorca s'appuie sur les travaux du spin doctor italien Giuliano da Empoli, dont il signale le roman à paraître chez Gallimard, intitulé Le Mage du Kremlin. L'autre grande nouveauté du métier de Spin doctor, c'est donc aussi qu'il s'est globalisé. Think national, act global.
De mon côté, je me suis entretenu avec la "papesse de la téléréalité", Magali Berdah, qui totalise des centaines de milliers de vues sur YouTube avec ses "24 heures avec..." les candidats à la présidentielle 2022. Elle fédère une armée d'influenceurs et d'influenceuses, qui génèrent des dizaines de millions de vues pour des marques ou des entreprises. J'en retiens qu'une logique démocratique anime les émissions de Magali Berdah. Une volonté de prendre le politique au mot. De cesser de le détester et d'essayer de le comprendre. Au départ, comme elle me l'a confié, Magali Berdah - qui n'a pas fait de grandes études - estimait que la politique n'était pas pour elle. Ce qui en dit assez sur l'état du débat démocratique dans notre pays. Puis, elle a rencontré des hommes et des femmes politiques, comme Gabriel Attal ou Marlène Schiappa, qui ont eu l'intelligence de lui faire confiance. Comme le rappelle la philosophe Elsa Godart dans Callpol, la conversation animée par Anne-Claire Ruel sur Whatsapp et Instagram, "On a l'impression que les politiques font leur campagne dans leur coin, pour eux, loin de citoyens. La politique (ou le politique) sans les citoyens, ça ne tient pas. Ce modèle ne tient plus." Elsa Godart appelle à un "projet immense et fédérateur" porté "par des personnes qui ne cherchent pas à exister d'abord". Car "sans les autres, nous ne pouvons rien".
Double détente
Nous avons assisté, en deux semaines, à deux discours historiques. C'est assez rare pour être souligné, même en des temps comme ceux que nous traversons. Diffusé sur les réseaux sociaux le 17 mars, l'adresse d'Arnold Schwarzenegger au peuple russe cumule plus de 36 millions de vues. Le New York Times rappelle que le compte Twitter de l'ancien Gouverneur de Californie, où a été diffusée la vidéo, est l'un des... 22 seulement suivis par le compte officiel du Kremlin. Avec celui... d'Elon Musk. La force du discours d'Arnold Schwarzenegger tient à l'évocation de son histoire personnelle. Le souvenir de son père, revenu brisé du siège de Stalingrad, où il avait combattu côté allemand. Son admiration d'adolescence pour un culturiste soviétique, qu'il finira par rencontrer lors du tournage du film "Double détente", premier film occidental tourné sur la Place Rouge après la chute du Mur de Berlin. Cette mémoire tisse un lien singulier avec le peuple russe. Un lien qui ne juge pas. Un lien amical. C'est ce qui touche, et bouleverse. Pour autant, la requête est ferme. Et le message sans ambiguïté. "Vous avez démarré cette guerre, plaide-t-il. Vous pouvez arrêter cette guerre." "Вы начали эту войну. Вы можете остановить эту войну".
Le second discours est celui de Volodymyr Zelensky devant l'Assemblée Nationale française, le 23 mars. L'image la plus forte fut celle des députés français debout et recueillis devant l'image vidéo du président ukrainien, pour une minute de silence en hommage aux victimes de l'invasion. En tee-shirt kaki frappé du symbole des forces armées ukrainiennes, Volodymyr Zelensky a salué le "leadership" français et appelé à mettre un terme à "cette guerre contre la liberté, l'égalité, la fraternité". Le passage le plus étonnant fut celui enjoignant aux enseignes "Renault, Auchan, Leroy Merlin et autres" de cesser leurs activités en Russie. Dont on imagine mal qu'il ait pu être prononcé sans l'aval de l'Elysée. Depuis, Renault a, d'ailleurs, obtempéré. L'intervention de Volodymyr Zelensky avait été précédée par une interview exclusive accordée au Parisien par la "Première Dame" d'Ukraine, Olena Zelenska, intitulée : "Nos enfants n’oublieront jamais ce que vous faites pour nous". Et par l'annonce de la publication, en mai et chez Grasset, d'un recueil de discours du président ukrainien, précédé d'une “adresse aux Français”. Une première mondiale. Le terrain avait été parfaitement préparé.
Récemment, Vladimir Poutine s'est plaint d'être une victime de la... "cancel culture". Ce qui est une autre façon de reconnaître sa défaite sur le terrain de la com'. Le président russe n'a pas hésité à se comparer à... JK Rowling. L'auteure de Harry Potter, qui avait été accusée de transphobie,jusqu'à être exclue... du vingtième anniversaire du premier film de sa propre saga ! Vladimir Poutine a réussi l'exploit, tout à fait paradoxal, de pousser JK Rowling à prendre la défense de la "cancel culture" sur Twitter : "Ceux qui massacrent actuellement des civils pour le crime de résistance, ou qui emprisonnent et empoisonnent leurs opposants, ne sont peut-être pas les mieux placés pour critiquer la cancel culture occidentale". L'attaque du président russe contre la "cancel culture" ne doit rien au hasard. Il vise les publics masculinistes ou virilistes, qui se recrutent principalement à l'extrême-droite, et sont les cibles traditionnelles de la propagande du Kremlin, notamment en occident. En "trollant" JK Rowling, le président russe s'assure d'être repris.
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Marie-Claire me demande : "Avec la publication des photos d'Emmanuel "chef de guerre" Macron, je me pose une question : le "roman-photo" de Soazig de la Moissonnière a t-il une quelconque utilité en communication politique ? Il me semble que ces photos se heurtent, surtout en ce moment, aux images dramatiques que l'Ukraine nous livre depuis 3 semaines. Du côté de l'Elysée, on ne prend pas la mesure du décalage entre les images d'un Président qui risque sa vie dès qu'il sort dans la rue, et de celui qui tente de "singer" sa tenue vestimentaire...?"
Bonjour Marie-Claire,
Un ami communicant, habitué de l'Elysée et de ses couloirs, m'a confirmé que ces clichés relevaient de la mise en scène. Dans le but de "vendre" à l'opinion l'image d'un président en guerre. En reprenant les "codes" ukrainiens. Comme le note le communicant Philippe Bernier Arcand : "Ces photos sont rapidement devenues virales, mais pas pour les bonnes raisons. Emmanuel Macron est devenu la risée du web et de la presse internationale, où on lui reproche de vouloir imiter le look du président Volodymyr Zelensky". Toujours prompt au "french bashing", le magazine britannique conservateur The Spectator a consacré tout un article au sujet, sous le titre : "Macron, le Zelensky inversé". Où il note cruellement : "L'un est un comédien devenu Président, l'autre un Président devenu comédien". Les vêtements se retournent parfois contre les hommes politiques qui les portent, note Bernier Arcand, qui relate cette mésaventure survenue au leader populiste italien Matteo Salvini. En visite à la frontière entre la Pologne et l'Ukraine, le 8 mars dernier, ce dernier s'est vu remettre par un maire polonais facétieux... un tee-shirt en soutien à "l'Armée de Poutine". Identique à celui qu'il avait porté, autrefois, en Russie, lorsqu'il soutenait encore le président russe. Conclusion: "les vêtements sont des armes à double tranchant".
Aurélien me demande : Comment la victoire à la présidence pourrait-elle échapper à Marine Le Pen? Forte dynamique, haine de Macron, ralliement de LR, thème central du pouvoir d'achat, assurance de gagner le débat final car elle fera forcément mieux que la dernière fois et même si elle est moyenne ça paraîtra fort, fin du "barrage républicain".
Bonjour Aurélien,
Tous les sondages à ce stade donnent Emmanuel Macron gagnant, assez largement et d'une manière constante depuis des mois, dans un second tour face à Marine Le Pen. S'il on veut aller dans votre sens, on peut toutefois noter cette analyse de Thomas Legrand : "Ça se tasse dangereusement pour Emmanuel Macron (...) si l’on poursuit les lignes actuelles et si on les accentue, les scores d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen devraient être beaucoup plus serrés au premier tour, avec, juste derrière un Jean-Luc Mélenchon très haut ! (...) Il y a quelque chose d’étrange quand on croise Marine Le Pen dans les coulisses de cette campagne. Elle vous parle d’Éric Zemmour en vous prenant à témoin : "C’est vraiment un extrémiste, entouré d’extrémistes…" On dirait un élu de droite vous parlant de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990/2000. La banalisation passe aussi par le off des couloirs de radios et de télés…". Tout est possible.
Philippe me demande : "Est-ce que vous participez à une émission de télé durant la campagne ?"
Bonjour Philippe,
Merci de votre question ! Je participe à beaucoup d'émissions, mais en particulier à Polonews, chaque lundi sur BFMTV à 20h. Outre le numéro spécial de Stratégies, voici une sélection d'interviews récentes : Ukraine, comment la guerre torpille la campagne présidentielle, pour Challenges ; Magali Berdah et Cyril Hanouna, ces incontournables de la campagne présidentielle, pour Le Monde ; "Séries et politique : "Aujourd'hui, les communicants se prennent pour des réalisateurs de séries Netflix"", pour France Culture ; La communication numérique du candidat Macron, pour France Culture ; "La campagne est centrée sur les candidats, pas sur les électeurs", pour le tout nouveau (et génial) média Fondamental.fr ; "Moderne" mais "vide" : la web-série de campagne "façon Netflix" d'Emmanuel Macron, pour TF1.fr ; "Face à ce qui est en train de se produire, on imagine mal les Français désavouer Macron", pour Yahoo Actualités ; Comment Zemmour et Mélenchon tissent leur toile sur Twitter, pour Décideurs Magazine.
Et pour finir, n'oubliez pas...
N'hésitez pas à m'envoyer vos coups de coeur, vos coups de gueule, vos réactions et vos analyses à l'adresse dirtypolitics.hebdo@gmail.com Votre courrier est important !
Bonne semaine à tous !