DIRTY POLITICS #5 - Que ferons-nous de 2022 ? - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
DIRTY POLITICS #5
Que ferons-nous de 2022 ?
Ce sont deux images, deux voix, deux écritures, que tout oppose. Mais elles disent, ensemble, une vérité de notre époque. Christiane Taubira, debout sur scène lors d'un concert de Gaël Faye, et slamant pour ses voeux de fin d'année, sous le titre "2022 sera ce que nous en ferons". Eric Zemmour annonçant sa candidature assis devant un micro, dans une réplique à l'identique du studio du Général de Gaulle à la BBC. Dans les deux cas, la mise en scène est artificielle. Elle relève du spectacle. Mais on l'a entrecoupée d'images "vraies". De clichés de notre histoire nationale. Dans les deux cas, l'écriture est précieuse. Elle aussi relève du spectacle. Dans les deux cas, l'émotion est présente. On feuillette l'album de famille. Mais quelle prise ces images ont-elles sur le réel ?
Quand j'ai demandé à mes followers sur Twitter ce qu'ils pensaient de celui de Taubira, les réponses ont été... partagées. "Tout parle au coeur de quelqu'un qui est à gauche, rien à sa raison. Tout y est beau, rien n’y est efficace. C’est ça qui met a 6%" - Lentschener Philippe "En tant que citoyen, je ne veux pas du spectacle, je veux des propositions" - Mathias Wargon. "Elle travaille son incarnation, une étape que pas mal de candidats semblent avoir sautée. Elle s’inscrit dans des combats plus anciens qu’elle. Elle rappelle ses talents d’oratrice mais aussi sa capacité à se mettre en danger" - Lionel Capel. "Un étalage de vocabulaire soutenu aussi subtil que de l’haltérophilie" - Margal. "La réincarnation de Ségo à Charléty en 2007. Spoiler, cela ne lui a pas réussi" - Dan Dhombres. "Moins d'ego, plus de populo" - Chantal Marti. "Elle n'a pas dû participer à beaucoup des manifestations qu'elle montre et c'est dommage" - Boris Jamet-Fournier.
Mais cette réponse m'a particulièrement marqué: "Ils ont engagé la même équipe qu'Eric Zemmour pour la vidéo, ils ont juste changé quelques éléments du scénario" (Fred Savard). Car, dans le fond, ce qui frappe dans ces deux clips, c'est la même convocation et exploitation de l'histoire. Au service de deux récits apocalyptiques. L'éternelle oppression des "vaincus", d'un côté. Le grand remplacement des "vainqueurs", de l'autre. Dans l'Ulysse de James Joyce, le héros, Stephen Dedalus, réplique à son interlocuteur qui lui dit "Notre Angleterre est en train de mourir, elle est déjà morte" par cette phrase: "L'histoire est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller". C'est quand, le présent ?
"Peut-être"
"L’impact de la vague Omicron reste difficile à quantifier (dans les hôpitaux, la vague Delta n’est d’ailleurs pas encore terminée) mais l’exécutif parie sur le fait que "ça passera"." Cette analyse du Monde résume bien la communication du gouvernement depuis le début de la crise du COVID-19: des données catastrophiques, des mesures anxiogènes et un langage... flou. Ce qui peut déconcerter. Voire susciter une franche hostilité. Un sommet a été atteint cette semaine avec la généralisation d'un élément de langage improbable en communication politique: "peut-être". Tout commence le 31, avec les voeux enregistrés du Président de la République.
L'affaire du drapeau
Depuis samedi 1er janvier 2022, c'est officiel : la France dirige l'Europe ! Si vous voulez énerver un expert de l'Europe, dites-lui ça. Il vous répondra que la France assume "seulement" la présidence tournante du Conseil de l'Union Européenne pour six mois. Ce qui n'empêche pas l'Elysée d'en faire un intense moment de communication, comme en 2008. A l'époque, souvenez-vous, Nicolas Sarkozy avait "sauvé" l'Europe du péril russe et de la crise des subprimes. En 2022, année électorale oblige, la partie ne sera pas aussi simple. Une première passe d'armes vient d'opposer LREM, qui avait cru bon de célébrer la présidence française en déployant un drapeau européen sous l'arc de triomphe, à Marine Le Pen, Valérie Pécresse et LFI. Avec, en gros, le même cri de ralliement: "Le soldat inconnu n'est pas mort pour Bruxelles".
LREM, qui ne perd jamais de vu l'objectif principal - 2022 -, en a profité pour assimiler Valérie Pécresse à l'extrême-droite. C'est de bonne guerre. L'Europe permettra-t-elle à Emmanuel Macron de reconstituer sa position de défenseur de la civilisation face à la menace d'extrême-droite, qui avait si bien fonctionné en 2017 ?
D'ailleurs, Valérie Pécresse apparaît à la une de VSD cette semaine sous les traits de... Jeanne d'Arc. Je l'ai dit, et réoété, pour espérer l'emporter les 10 et 24 avril 2022, Valérie Pécresse va devoir "dire qui elle est, quel est son rôle dans ce moment de l’histoire, ce que les Français peuvent attendre d’elle, peut-être la première présidente de la République française". Sera-t-elle Angela Merkel et Margaret Thatcher, comme elle l'avait annoncé au lancement de sa campagne, ou Jeanne d'Arc ? De mauvais patriotes font remarquer sur Twitter que, dans le cas de Jeanne d'Arc, l'aventure ne s'est pas particulièrement bien terminée.
Droit de suite
Vous avez été très nombreux à réagir à l'annonce de la publication dans Dirty Politics #4 du livre “Le solitaire du palais. Le livre du quinquennat Macron”, de la journaliste Laurence Benhamou, qui sort le 20 janvier prochain chez Robert Laffont. En exclusivité, voici la toute première page du livre ! L'avant-propos du journaliste Denis Boulard. Du coup, ça donne encore plus envie !
Droit de suite 2
On en parlait dans le dernier Dirty Politics, l'exécutif poursuit sa campagne auprès des stars de la téléréalité. Cette semaine, c'était au tour de Cyril Lignac de recevoir Marlène Schiappa dans son émission culte - énorme succès de librairie par ailleurs - "Tous en cuisine". Un "score honorable", sans "effet Schiappa", me dit-on, de 1,4 millions de téléspectateurs et 8,4% de parts d'audience. On attend toujours de voir les oppositions se saisir de ces formats ultra populaires pour faire campagne.
5 livres à lire pour la rentrée
Voici 5 livres très attendus en ce début d'année ! "Les nouveaux masques de l'extrême droite. La radicalité à l'ère Netflix" du communicant Raphaël Llorca paraît le 17 février. "Ma thèse c’est celle de la Netflixisation du politique, m'explique Raphaël sur Whatsapp. Pas au sens où l’entend Christian Salmon, du brouillage fiction / réalité. Mais au sens de l’importance culturelle d’un médium, qui influence la façon même d’écrire sa campagne. En gros, on passe de l’écriture médiatique de Pilhan, adaptée à la TV, à l’écriture scénaristique adaptée au nouveau format qui façonne les imaginaires, les séries. Ce qui entraine toute une série de basculements: dans le portrait-robot de l’homme politique idéal, dans les qualités attendues. Xavier Bertrand est, par exemple, intéressant car il a mené une campagne de l’ère TF1: conférence de presses - interview Figaro - 20h de TF1. Je défends l’idée c’est que c’est inadapté aux attentes d’aujourd’hui".
Le deuxième livre est un "bref essai" - 60 pages - signé Cécile Alduy. "La langue de Zemmour" paraît au Seuil le 18 février, dans une toute nouvelle collection. Chercheuse à Stanford et au CEVIPOF, Cécile est - pour faire simple - une linguiste qui analyse, logiciels à l'appui, les discours des politiques. C'est tout à fait passionnant. Elle avait diagnostiqué la "normalisation linguistique" de Marine Le Pen dès 2015, avant d'étudier la rhétorique des candidats à l'élection présidentielle de 2017. A gauche, "la grande différence est sur le mot peuple, expliquait-elle alors. Mélenchon le met en avant (...) C’est l’un de ses mots-clés, que l’on ne retrouve pas du tout dans le cadre de pensée de Benoît Hamon et Manuel Valls, qui parlent soit "des Français", soit de catégories spécifiques comme "les jeunes", "les agriculteurs", "les parents". Le peuple n’est pas une catégorie structurante dans la bouche des deux candidats du PS."
Le troisième est signé de l'ami journaliste Laurent-David Samama. Après "Kurt", un premier roman très remarqué consacré à Kurt Cobain, Laurent-David s'attaque à une cause tout aussi désespérée: l'égo des politiques français. "Pourquoi se croient-ils TOUS présidentiables ?" sort prochainement chez Bouquins. Voici la couverture en exclusivité pour vous.
Comme Laurent-David me le confie par Whatsapp: "L’essai propose une réflexion sur la notion de présidentiabilité à travers la Vème République. Pourquoi se lance t-on dans la course à l’Elysee, avec quelles ambitions, quelles méthodes ?J’interroge beaucoup de candidats d’hier et d’aujourd’hui, de conseillers. L’optique est large, de Poutou à Philippot. J’avais envie d’interroger cette idée de l’ambition politique à l’heure d’Instagram et de Twitter. De comprendre pourquoi même quant ils la conspuent et pensent qu’ils s’agit d’une « farce » ou d’une élection « jouée d’avance », ils y vont quand même. L'autre axe du livre, c'est la question du pourquoi se croient-ils TOUS présidentiables ?" Et il a la réponse: "La présidentielle est au moins autant une question d’affect et d’image que de sens, donc beaucoup s'autorisent à rêver. Même si le costume de chef d’État est trop grand pour leur envergure réelle."
Je vous l'annonçais, le prochain livre "coup de poing" de Chloé Morin sort le 18 février chez Isabelle Saporta chez Fayard ! Voici la couverture et le quatrième de couverture, qu'elle a diffusés sur les réseaux sociaux. Le titre est prometteur: "On a les politiques qu'on mérite".
Le cinquième livre n'a pas encore de titre. Il pourrait sortir, d'après son auteur, "après la présidentielle". Il s'agirait du premier ouvrage consacré à la "fabrique" des présidents par un maître absolu du sujet : le politologue Stéphane Rozès. Stéphane a été le conseiller de l'ombre de nombreux présidents de la République, dont Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il m'a appris l'importance d'élaborer sa propre "grille" d'analyse, et de lui rester fidèle. Il emprunte sa formule fétiche à Hobbes: "le souverain interprète le spectacle du peuple". Le roi est l'acteur, plus ou moins doué, d'une pièce écrite et voulue par d'autres que lui. Par le peuple. Si par mésaventure le roi se prend pour l'auteur de la pièce... Il est perdu.
#BLOC-NOTES
Les idées de la gauche
"Benoît Hamon, me dit une amie journaliste politique, a eu la seule idée originale à gauche de la campagne de 2017: le revenu universel. Il y a là un vrai clivage avec la droite. Curieusement, personne à gauche ne reprend cette idée." Cette amie a raison. C'est un axe largement sous-utilisé. Et potentiellement très mobilisateur. La gauche n'a pas beaucoup de grands projets, capables de changer la société. De "changer la vie". Et la réduction de l'héritage mitterrandien à l'habileté politique, en cours depuis plusieurs années, n'aide pas à retrouver du souffle.
A propos de Benoît Hamon, j'ai retrouvé cette photo que j'avais prise "au siège du PS, rue de Solférino, le soir des résultats de la Primaire socialiste", en 2011. Il avait soutenu Martine Aubry face à François Hollande, vainqueur. Il a une gueule de personnage de roman noir. De loser dans un film français des années 1960.
J'ai pris le même soir cette autre photo, qui me fait penser à cette phrase, attribuée au vice-Président conservateur américain Dick Cheney: "Si vous ne contrôlez pas l'agenda des médias, ils détruiront votre présidence". François Hollande n'a jamais contrôlé l'agence médiatique. Il avait même demandé à ses ministres, une fois nommés, d'arrêter d'alimenter leurs comptes Twitter. Les micros, comme une épée de Damoclès.
Le #Fail de la semaine va à... Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'éducation, qui annonce le dimanche soir dans un article - payant - du Parisien les nouvelles conditions sanitaires qui vont régir dès le lundi, c'est-à-dire - oui ! - le lendemain, la vie de quelque 12 millions d'élèves, 20 millions de parents, 800 000 enseignants et 400 000 agents ministériels. Au sein même de LREM, la situation inquiète. En privé de nombreux Macronistes rêvent que le Président "siffle la fin de la récréation". L'addition électorale menace d'être lourde. Comme en témoigne cet auditeur en larmes sur France Inter.
Bonne année et bonne semaine à tous !