DIRTY POLITICS #7 - Mélenchon et le coup du pigeon - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
DIRTY POLITICS #7
MELENCHON ET LE COUP DU PIGEON
S'il fallait des photos pour résumer l'état de la politique française en 2022, à 80 jours de l'élection, je choisirais celles-ci. Un homme politique sans masque, entouré d'une foule en FFP2, dans un "meeting immersif". C'est quoi un meeting immersif ? "Une sorte de cube de 50 mètres de largeur sur 6 mètres de haut, dont l'ensemble des murs sont des écrans, sur lesquels 16 vidéoprojecteurs projettent des images en définition 28K", avec "96 m2 de panneaux LED au plafond", "un son spatalisé" et "des parfums naturels diffusés dans la salle au fur et à mesure du discours". Le but ? "Faire ressentir les émotions et le projet du monde d'après" de Jean-Luc Mélenchon aux participants, comme l'explique l'Obs. Un dispositif qui a fait le succès d'Ultraviolet, le restaurant 3 étoiles du Chef Paul Pairet, - l'un des jurés de TopChef - à Shangaï. Et qui trouve sa première application en politique. Le coût de cette innovation ? 300 000 euros. Soit "100 000 euros de plus qu'un meeting traditionnel".
Cette "première mondiale'", selon LFI, rappelle celle de 2017 avec l'hologramme de Jean-Luc Mélenchon. Une innovation technologique qui n'en était pas une, mais qui avait permis de capter l'attention et d'affirmer une modernité. Comme pour Bernie Sanders, la préemption de la technologie permet d'évacuer la question de l'âge, tout en transformant un leader en icône. Une "iconisation" obtenue grâce à 3 facteurs: les réseaux sociaux, une campagne décentralisée et un marketing politique assumé.
Mais qu'apporte vraiment un "meeting immersif" ? On en avait précisément discuté avec le Chef Paul Pairet, lors du dernier Chefs World Summit, à Monaco. C'est un "exhausteur d'émotions". Le but est de solliciter tous les sens à la fois, pour transformer un événement banal, comme un dîner ou un meeting, en expérience totale. Comme l'explique le neuroscientifique Alain Damasio, nos émotions jouent un rôle-clé dans notre capacité à retenir l'information - "la vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté" - ou à prendre des décisions. Et nous percevons la réalité par tous nos sens. La façon dont nous sommes assis, la chaleur, les odeurs, les bruits... Tout compte.
Ces techniques de com' sont-elles encore efficaces face aux stratégies populistes qui marquent la campagne 2022 ? Celle d'Eric Zemmour, mais aussi celle... d'Emmanuel Macron. Car comme l'écrit Natacha Polony - ma collègue de plateau sur BFMTV chaque lundi soir à 20h - dans Marianne: "On trouve dans la totalité du paysage politique une majorité de Français en faveur d’un refus de prise en charge pour les soins des non-vaccinés. Le chiffre monte même à 74 % pour les militants La République en marche ! Avec sa tirade sur les "irresponsables" Emmanuel Macron a réveillé les "passions tristes" dont il prétendait depuis cinq ans qu’elles étaient l’apanage des "populistes"". Marianne consacre sa couverture à cette problématique, sous le titre: "Comment Macron va pourrir la campagne".
La crainte est que le Président adopte la "stratégie du pigeon" - le communicant Raphaël Llorca préfère parler de "neutralisation" délibérée de la campagne. Qu'est-ce que la "stratégie du pigeon" ? Elle consiste à laisser ses adversaires installer patiemment leurs pièces. Organiser leur primaire, tenir leurs meetings, ressortir le kärcher de la cave... Et renverser l'échiquier. En "emmerdant" les non-vaccinés ou en proposant la fin de la gratuité à l'université. Avec la puissance du président-pas-encore-officiellement-en-campagne qui peut mobiliser les médias qu'il souhaite, quand il le souhaite. Aucun thème ne peut s'installer. La campagne est "très fragmentée", comme le note la philosophe Gabrielle Halpern dans Callpol - la passionnante conversation sur Instagram lancée par Anne-Claire Ruel.
Ce n'est pas anodin. "Une mauvaise campagne pourrait entraîner de lourdes conséquences sur notre vie démocratique, prévient le sondeur Bernard Sananès dans Stratégies. Une campagne présidentielle, c’est l’occasion de confronter des visions de la société. De parler de l’avenir du pays. Du chemin que le président entend construire. Et même si un slogan peut résumer ce "grand dessein" et lui donner de la force, il ne peut jamais se substituer au développement cohérent, profond, argumenté de cette vision. Il reste quelques semaines à tous les acteurs de cette campagne pour corriger le tir." Le risque, c'est que cette non-campagne se traduise, à terme, par une abstention inédite à la présidentielle. Certains sondeurs expliquent, en off, que même la présence de Marine Le Pen au second tour ne suffirait pas à réveiller un électorat démobilisé. Pigeon, où est ta victoire ?
#BLOC-NOTES
Marine in Paris
Marine Le Pen fait écho à la crainte d'une abstention massive les 10 et 24 avril 2022, avec son slogan: "N'attendez pas l'élection, faites-la !". Son dernier clip de campagne est une déambulation dans la Cour du Louvre, où elle démolit le bilan du Président - qui avait été "intronisé" dans ce lieu à la fois monarchique et Mitterrandien. La pyramide du Louvre est devenue le symbole parfait de notre monarchie républicaine. Même Emily in Paris y prend son spritz en terrasse. Contrairement à Emmanuel Macron et à Emily Cooper, en revanche, Marine Le Pen a négligé de demander l'autorisation du musée pour tourner. Résultat: le Louvre demande le retrait du clip. Comme le confie sur whatsapp un conseiller LR: "S’ils voulaient lui faire prendre 2 points (avec cette polémique), c’est magnifiquement joué".
Qui sont les "antivax" ?
Pour bien communiquer, il faut connaître son public. Dans un must read publié par le JDD, l'épidémiologiste et directrice à l'INSERM Vittoria Colizza identifie que "sur les 5 millions de non-vaccinés deux tiers sont des opposants convaincus et un tiers hésite ou envisage de le faire". Conclusion logique: "Ce sont eux qu'on doit aller chercher." Ah, et dans ses GatesNotes, Bill Gates dément cette semaine implanter des puces 5G dans le bras des gens. Avec cet argument assez évident: "pourquoi voudrais-je faire ça ?".
La campagne en BD !
Je vous en avais parlé et je vous en avais même présenté les premiers croquis, un collectif de dessinateurs BD se penche sur la campagne présidentielle 2022 ! Sous la direction de Mathieu Sapin, et avec mon coauteur pour la BD "Le Président", Morgan Navarro. Le pitch: "Nous allons vivre la campagne des principaux candidats de 2022 et vous raconter tout ça dans une bande-dessinée qui sortira juste après le deuxième tour", chez Dargaud. De gauche à droite: Kokopello, Mathieu Sapin, Lara Maknine, Louison, Dorothée de Monfreid et Morgan Navarro - qui est chargé de suivre Eric Zemmour !
Ça va arriver près de chez vous
Un salarié peut-il arriver au travail en portant un tee-shirt ou un masque, avec un slogan politique ? La question est posée aux Etats-Unis, où les employés de la chaîne de distribution alimentaire Whole Foods, filiale d'Amazon, revendiquent le droit de porter des slogans "Black Lives Matter" sur leur lieu de travail. Bientôt des tee-shirts "J'aime Marine" chez Auchan ?
En espadrilles...
Le prix Dirty Politics de l'humour politique est attribué cette semaine à François-Xavier Bourmaud, du Figaro, pour ce magnifique tweet sur "l'Ibizagate". On se souvient que Jean-Michel Blanquer a annoncé à la toute dernière minute un protocole sanitaire engageant 20 millions de personnes, dans une interview au Parisien. Mediapart révèle que cette interview a été donnée non pas depuis son bureau à Paris, où il travaillait, mais depuis... Ibiza. Le protocole avait dû être repris trois fois. Obligeant Gabriel Attal à faire face à des auditeurs en larmes sur France Inter. Et le Premier ministre à venir s'expliquer au 20h de TF1. Une paille. Comme le résume le communicant Thierry Herrant sur Twitter: "Cette histoire se distingue des déboires actuels de Boris Johnson, mais elle résonne de la même manière". D'autres comparent l'affaire à celle de Jean-François Mattei, en 2003, qui avait géré la canicule - et ses 15 000 morts - en duplex et en polo depuis sa maison du Var. Cela lui avait coûté sa carrière politique.
Le dessin de la semaine
Il est signé Lara Maknine. Faut-il maigrir pour rassembler la gauche ? Ou suivre la ligne Roussel - "Le communiste qui plaît à la droite" selon Le Parisien - et exiger du pain, du vin et du fromage pour tous ? Le débat est ouvert !
Vous m'écrivez...
... je réponds
Cette semaine, je réponds à Julien, qui m'écrit:
"Bonjour !
Tout d'abord bravo pour votre newsletter, passionnante et déjà indispensable à mon sens même si elle est encore toute neuve ! Vous arrivez à traiter les sujets du moment avec un angle singulier, ce qui est toujours une prouesse. Sur votre invitation je tenais à donner mon humble avis sur le film qui est sur toutes les lèvres, Don't Look Up ! Très séduit par son pitch de départ, le casting et le fait que j'avais beaucoup aimé The Big Short du même réalisateur, j'attendais le film avec une certaine impatience. Mais j'ai eu du mal à l'apprécier. Tout m'a en effet paru trop proche de la réalité. J'ai en effet l'impression que depuis peu celle-ci a rattrapé la fiction, avec notamment pandémie, inaction climatique et montée des extrêmes et des populismes. Peut-être le film est-il arrivé quelques années trop tard pour me paraître pleinement satirique ? Peut-être la "gorafication" du monde rend-elle l'exercice plus difficile ? Je suis curieux de voir ce qu'il restera de ce film dans quelques années et s'il aura un impact."
Merci Julien ! La description de la crise des subprimes dans The Big Short est passionnante. Avec Margin call, c'est l'un de mes "films de traders" préférés. C'est un sous-genre où on compte aussi Le loup de Wall-Street, Boiler Room - avec Vin Diesel - et bien sûr... Wall Street - qui est aux films de traders ce que Scarface ou Le Parrain sont aux films de gangsters. A mon avis on aura bientôt un Quoiqu'il en coûte. Dans Don't Look Up ! tout est caricatural. Et pour aller dans votre sens, l'historien Patrick Boucheron explique dans son cours sur les Fictions politiques au Collège de France que quand la politique devient elle-même sa propre caricature - comme avec Trump, par exemple - elle devient impossible à caricaturer. On en est probablement arrivé là. Peut-on caricaturer une caricature ?
N'hésitez pas à m'envoyer vos coups de coeur, vos coups de gueule, vos réactions et vos analyses à l'adresse dirtypolitics.hebdo@gmail.com Votre courrier est très important pour moi !
Bonne semaine à tous !