DIRTY POLITICS #8 - La France dans les yeux - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
On a assisté à un grand moment de télévision. Valérie Pécresse reprochant en direct à Jean-Jacques Bourdin une plainte déposée contre lui pour agression sexuelle, avec ces mots définitifs: "la loi du silence, c'est fini". La scène a fait l'ouverture de la nouvelle émission politique de BFMTV, "La France dans les yeux", où la candidate LR - et depuis ce week-end UDI - était interviewée par 50 Français. Comme la journaliste Anne-Elisabeth Moutet le note dans le dernier Facebook Live de "Presqu'Ensemble", c'était une "réponse à ceux à droite qui pensaient qu'elle manquait de caractère et qu'elle n'était pas une tueuse, comme Chirac ou Sarkozy." Ou en termes plus "cash": "ça lui a fait une personnalité alors qu'elle était trop lisse". De fait, selon l'enquête réalisée par Elabe pour BFMTV avant l'émission, Valérie Pécresse est bien jugée "dynamique" (55%), "courageuse" (55%), "autoritaire" (51%), "moins clivante" et aussi "compétente" qu'Emmanuel Macron. Mais elle est jugée nettement moins "présidentiable" que lui (38% contre 50%).
Pourquoi apparaît-elle moins "présidentiable" ? Comme me le résumait une journaliste politique au téléphone, Valérie Pécresse n'a "ni récit ni personnage" et "elle ne sait pas tenir un meeting". Sa stratégie ? Celle des "petits cailloux": embaucher le directeur de campagne de François Fillon, se faire désigner par le Congrès LR, courtiser Xavier Bertrand et Eric Ciotti, ressortir le Kärcher de Sarkozy, "se payer" un journaliste, rallier l'UDI... En misant, comme François Hollande en 2012, sur une fin de campagne explosive. Souvenez-vous du discours du Bourget - "mon ennemi c'est la finance" - et de la très éphémère "taxe à 75%". Au passage, Valérie Pécresse rappelle aussi qu'elle est une femme. C'est-à-dire une potentielle "première présidente française".
Qu'une candidate de droite à l'élection présidentielle française récupère à des fins électorales une logique liée à la "cancel culture" et au mouvement "MeToo"... C'est un paradoxe notable. Un conseiller LR me fait observer sur Signal que Valérie Pécresse "n'avait pas le choix": "que n'aurait-on dit si elle n'avait rien dit ?". Et c'est très vrai. Le clivage avec la culture ouvertement masculiniste d'un Eric Zemmour, par exemple, est frontal. Assiste-t-on à la naissance d'une nouvelle culture politique ?
Autorité, toujours. Dans sa newsletter, le journaliste de France Inter Thomas Legrand note: "Les responsables écolos étaient ravis (j’en ai eus au téléphone juste après) d’un plan de télévision qui montrait pendant de longues secondes le Président, de dos, assis avec, en face de lui, debout, et du haut de son mètre 93, Jadot, lui assenant ses vérités environnementales… Un effet de puissance intéressant pour un candidat qui doit encore faire ses preuves en matière d’autorité." Signe du mélange constant entre politique et fiction qui est le signe de la campagne 2022, Yannick Jadot a comparé Emmanuel Macron à... la présidente américaine climatosceptique jouée par Meryl Streep dans Don't Look Up.
Ces références à la fiction ne sont pas nouvelles en communication politique. Elles le sont simplement... en France. Autre héroïne de Don't Look Up, Jennifer Lawrence s'est engagée contre la corruption en politique aux Etats-Unis, et est devenue un symbole politique... en Thaïlande. Son geste de rébellion dans Hunger Games - les trois doigts collés - a été adopté par les opposants au régime. Il vaut, désormais, la prison. Outre l'absence de démocratie, on reproche au Roi de Thaïlande, Rama X, d'avoir fui son pays dès le début de l'épidémie de COVID-19 pour... se réfugier dans les Alpes en compagnie d'un harem de 20 jeunes femmes, et déambuler nu dans les montagnes, entouré de ses gardes du corps. Le geste s'est répandu, depuis, en Birmanie.
On reste dans la fiction, avec la voix de l'actrice Anna Mouglalis qui appelle, dans son personnage de la présidente Amélie Dorandeu dans Baron Noir - à participer à la primaire populaire. Toute de rauque vêtue, elle constate: "Mes chers compatriotes, la situation est grave". Effet Dorandeu ou effet Taubira ? Au total, la Primaire populaire est parvenue à totaliser 467 000 inscrits. Un communicant "Taubiriste" à qui je faisais remarquer que c'était bien moins que les primaires PS de 2021 et 2017, qui avaient chacune rassemblé plus de 2 millions de personnes, m'a répondu sur whatsapp: "Oui mais c'était monté par un parti qui avait pu lâcher 3 millions d'euros pour l'opération, et qui disposait de 200 permanents et 150 000 adhérents à l'époque".
BLOC-NOTES
Quand le cercle de famille s'agrandit...
Alors qu'il stagne dans les sondages - entre 10 et 13% en moyenne -, et que ses supporters font grise mine sur les plateaux de télévision, Eric Zemmour multiplie les ralliements. Jusqu'à miser sur une improbable "Union des droites".
Il manque à cette photo le portrait du député RN Gilbert Collard qui, comme il le dit, s'est "baigné dans le Rubicon" ce week-end. Les sondeurs que j'ai sondés sont partagés sur l'impact de ces ralliements. "Perso, je suis très sceptique sur ce qu’apporte des ralliements dans une campagne présidentielle. Combien d’électeurs, même de droite radicale, peuvent mettre un nom sur cette photo ?, me confie l'un d'entre eux. Les aventures sont de plus en plus individuelles." Un second va plus loin: "Les électeurs ne votent pas en fonction de ces ralliements. Et les appels à l'union des droites peuvent même faire la courte échelle à Pécresse, si elle se qualifie au second tour". Un troisième n'est pas du tout d'accord: "Que pour des candidats "classiques" les ralliements ne soient pas décisifs, je veux bien. Mais pour Zemmour c’est tout à fait différent. Il est quatrième, a un peu décroché, et ce sont les soutiens de candidates qui sont devant lui qui se rallient à lui ! Il apparaissait assez seul, il ne l’est plus. Et Collard c’est du lourd." Marine Le Pen, elle, est furieuse.
Est-ce, déjà, la facture d'Ibiza, ou celle du "emmerder les non vaccinés" ? Emmanuel Macron a perdu 4 points de popularité en janvier. C'est une "sérieuse alerte", prévient le JDD. Mon camarade de plateau sur Europe 1 la saison dernière, le sondeur Frédéric Dabi note que c'est "la plus forte baisse constatée" depuis un an et parle de "tournant". Le même pointe la faiblesse du Président-pas-encore-candidat sur la sécurité: "Le régalien n'est pas un atout pour lui, ce qui est rare pour un président sortant. C'est son vrai point faible, et c'est là-dessus que la droite l'attaque." De son côté, Eric Ciotti a trouvé un autre angle, plutôt bien vu: "15 ans de pouvoir Hollande-Macron ce n’est pas acceptable".
Gabriel Attal, qui se bat avec énergie et intelligence, fait une belle prise de judo à ses adversaires. Il s'appuie sur... les ralliements de la semaine pour dénoncer "l'économie circulaire qui s'est installée entre Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Marine Le Pen". Les trois s'échangeraient, donc, des soutiens, des idées et de mots. Une façon maline de réactiver l'axe de campagne d'Emmanuel Macron, qui ne semble toujours pas disposer d'une stratégie alternative au "c'est moi ou le nazisme": Pécresse, le RN et Zemmour, c'est blanc bonnet et bonnet... blanc.
Plus léger, pour finir. Je mentionnais Emily in Paris dans le dernier Dirty Politics. L'analyse du journaliste Patrick Freyne dans l'Irish Times est hilarante: "Emily in Paris est incroyablement regardable malgré son absence totale d'aspérités et d'enjeux. Ma femme s'est assise pour ne regarder qu'une seule scène, afin de pouvoir l'insulter en français, mais très vite nous en étions au troisième épisode et une heure et demie plus près de la mort". Ou encore: "Pour l'essentiel, ils pourraient remplacer Emily par un gros chiot et la majeure partie de l'intrigue fonctionnerait toujours. Comment cette personne qui ne parle pas français et qui fait preuve d'un manque de curiosité remarquable parvient-elle à s'épanouir dans une société de marketing parisienne ? (...) Dans le quatrième épisode, Emily envoie une lettre d'excuses à son amie Camille pour avoir couché avec Gabriel, à laquelle Camille répond: "Laisse-moi tranquille, espèce de sociopathe analphabète". Camille parle ici au nom de toute la France."
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