DIRTY POLITICS #9 - Pourquoi Emmanuel Macron peut-il être réélu ? - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
DIRTY POLITICS #9
Pourquoi Emmanuel Macron peut-il être réélu ?
C'est l'objet de toutes mes discussions avec des conseillers LREM. Et ils ont des arguments: un taux de popularité, en baisse mais supérieur à celui des présidents précédents, une base LREM soudée, une redistribution financière massive et une situation économique qui se rétablit. J'ai l'habitude de répondre que, sur le papier, Emmanuel Macron est réélu. "Vu du ciel", il ne peut pas perdre. Mais que, dès qu'on s'intéresse aux détails, cette impression s'estompe. Un an de grâce absolue, suivi de quatre ans de crises historiques, des secteurs sauvés, mais d'autres sinistrés, ou aliénés... Chacun a une histoire avec Emmanuel Macron, et elle n'est pas nécessairement heureuse. Une "dépression politique" s'est installée, tel un système, au-dessus de la France. Dans ces conditions extrêmes, l'analyse la plus intéressante, et la plus convaincante, en faveur d'une réélection du président sortant, m'a été livrée par un "homme de l'ombre". Un expert qui conseille de nombreux dirigeants politiques, en Belgique et en Allemagne. Quand il parle d'Emmanuel Macron, il cite Robert Musil: "Dès que quelqu'un a la réputation d'être un Napoléon, même ses batailles perdues sont encore des victoires."
Voici son analyse, récoltée en présentiel et sans filtre: "Dans les circonstances que tu décris, Emmanuel Macron incarne un vote refuge. Il est "boomer-compatible". Voter pour lui demande des efforts cognitifs moindres. Le statu-quo "covido-Macroniste" - ce mélange de gouvernance plébiscito-sanitaire et de reconstitutions de séquences communicationnelles "vintage" d'une Cinquième République "muséifiée" -, est plus simple à appréhender que la "France d’après" zemmourienne, agressivement "ethno-identitaire", ou mélenchonienne, c'est-à-dire "woko-indigéniste". La médiatisation de la parole d'Emmanuel Macron a été largement tributaire des séquences de "reprise en mains" présidentielles balisant la gestion sanitaire. La primauté thématique accordée au sanitaire a longtemps été la réponse de la majorité à l’imposition de récits politiques concurrents. Et la campagne permanente du président français, avec sa scénarisation discrétionnaire, relève clairement d’une dynamique plébiscitaire. Le vote pour une alternance douce de centre-droit, rétablissant les anciens équilibres partisans et réagrégeant une "UMP-Zombie", avec Valérie Pécresse à sa tête, est tout aussi aisé que le vote macroniste. Mais Valérie Pécresse se comporte plus en porte-parole d'une coalition fragile qu'en leader. C'est une domination sans incarnation."
Cette notion de "vote refuge" est bel et bien mobilisée par LREM, qui a lancé sa campagne tous azimuts. Un premier slogan a été installé: "avec vous". Un projet d'affiche, qui emprunte à la fois à l'esthétique de "Génération Mitterrand", en 1988, et au film "Don't look up" a été tweeté, puis retiré, par plusieurs ministres. Un site Avecvous2022.fr a été lancé, où l'on peut enregistrer ses propres messages, audio ou vidéo. Sa logique est celle de la "Grande marche" de 2016: jouer la proximité et solliciter la parole du terrain. A l'époque on parlait de "faire le diagnostic du pays". Des élus ont commencé à annoncer leurs parrainages, l'idée étant selon certaines sources d'officialiser la candidature d'Emmanuel Macron en ayant déjà les 500 signatures. "Pour répondre à l'appel des territoires". Les tractages et les collages pour #Macron2022 ont débuté, avec du matériel très "bleu blanc rouge". Et, bien sûr, le financement de la campagne bat son plein en coulisses. Un député LREM me confie sur Telegram signer tous ses mails par un "avec vous" militant.
Le slogan, comme tout slogan creux et publicitaire, ou "attrape-tout", a évidemment été détourné. Et c'est très drôle. Enfin, Brigitte Macron - le meilleur atout de communication de son mari -, fait la couverture de Madame Figaro cette semaine. Au menu: son "style direct", ses "valeurs simples" et son "engagement". Comme pour pratiquement chaque campagne de réélection, le message est: "nous n'avons pas changé". Du beau travail et de belles photos.
Si vous trouvez que toute cette campagne est passablement poussive, vous avez raison. Mais il y a une explication. Contrairement à ses adversaires, qui ont traversé les 4 dernières années en apnée, incapables de formuler un message audible sur les gilets jaunes ou la crise sanitaire, Emmanuel Macron a intégré que nous étions dans une campagne permanente. Comme l'explique l'essayiste Jérémie Peltier, de la Fondation Jean Jaurès, dans la conversation Instagram Call Pol: "la campagne ne se distingue plus du reste de la vie quotidienne. Avant c'était un moment "à part", une parenthèse extra ordinaire (...) depuis septembre 2017 c'est la campagne permanente, les tours de France permanents. Le grand débat avec les gilets jaunes étant le symbole parfait de la campagne qui fait partie du flux désormais, en sus de toutes les émissions politiques, matin, midi et soir." En déclarant sa candidature et en faisant campagne, le Président de la République sacrifie à un folklore qu'il pense, au fond, inutile. Le vote, dépouillé de sa charge émotionnelle, devient une formalité pour les Français. Et c'est un argument de plus pour la réélection d'Emmanuel Macron.
La semaine prochaine, un autre candidat ou une autre candidate. Pour réagir, m'envoyer vos commentaires ou contre-arguments, c'est ici!dirtypolitics.hebdo@gmail.com
#BLOC-NOTES
Le steak-frites est-il de droite ?
Dans une interview tout à fait passionnante au Monde, l'ami Jean-Laurent Cassely analyse la sortie remarquée de Fabien Roussel, "le communiste préféré de la droite" et candidat autoproclamé des "Jours heureux" - son slogan de campagne -, sur France 3: "Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, pour moi c’est la gastronomie française. Mais pour avoir accès à ce bon (...) il faut avoir des moyens (...) le meilleur moyen de défendre le bon vin, la bonne gastronomie, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès (...) tout le monde doit y avoir accès." Une phrase pour le moins... décalée à l'heure où le pouvoir d'achat devient un thème central de la campagne, avec un nombre record d'étudiants postulant dans les banques alimentaires. Mais si les attaques sont bien venues de la gauche, elles n'ont, en revanche, absolument pas porté sur le terrain économique - le côté "Marie Antoinette" des propos - mais sur le terrain... identitaire. La "gauche couscous" et la "gauche quinoa" se sont opposées à la "gauche terroir".
Jean-Laurent Cassely explique ce nouveau "marquage" identitaire de la manière suivante: "D’une certaine manière, le steak et les frites décryptés par Roland Barthes dans ses Mythologies sont eux aussi passés à droite. Avec la musculation, la barbe ou certaines marques vestimentaires, la viande rouge fait partie des nouveaux marqueurs lifestyle des identitaires, associée à une idée de santé, de force, de virilité. On a constaté le même mouvement aux Etats-Unis au travers de l’apologie du barbecue. A l’époque de Donald Trump, la viande grillée était présentée comme la nourriture de la working class américaine alors que l’avocado toast, c’était l’aliment des bobos efféminés qui votaient démocrate. les classes urbaines". Il se penche aussi sur le "fossé culturel" symbolisé par les "émeutes du Nutella", survenues "juste avant les gilets jaunes". Loin des considérations "bobos" sur l'huile de palme, "pour les foyers modestes, que leurs enfants puissent avoir du "vrai" Coca ou du "vrai" Nutella, ça reste un marqueur statutaire, un signe que l’on n’a pas totalement décroché."
Pourquoi est-ce important ? Parce que, comme le soulignait le philosophe Michael Foessel sur France Inter, la gauche "abandonne le plaisir à la pensée réactionnaire". Elle perd une bonne partie de sa force d'attraction. Et peut-être, même, de sa légitimité. "On ne peut pas annoncer à ceux qui n'ont jamais été invités à la fête, que la fête est finie", souligne-t-il. Jérémie Peltier note dans Call Pol: "Il y aurait quelque chose à faire sur la gauche triste, la gauche des Mormons qui se prend trop au sérieux et ennuie". "Où est passé le jouir sans entrave ?", résume Nicolas Demorand. Ok, Boomer !
Hollande et le monde à sa porte
Un lecteur m'envoie le dernier - et très intéressant - numéro de la Revue Hermès - merci ! Il contient cet échange magnifique entre Dominique Wolton et François Hollande.
"Dominique Wolton : Les gens en ont assez d'entendre le Chef de l'Etat intervenir tous les jours. Pourquoi les acteurs ne comprennent-ils pas qu'ils ont besoin de solitude et de silence ?
François Hollande : Parce que le monde est bruyant et qu'il frappe à la porte."
La petite musique de Spotify
J'ai résilié mon abonnement à Spotify, qui ne mise désormais plus sur la musique, mais sur le secteur de la... parole, jugé plus rentable. Sommée de choisir entre Neil Young et le podcasteur antivax Paul Rogan, dont elle avait acheté les droits de diffusion pour 100 millions de dollars, la multinationale a choisi Paul Rogan. Tout est expliqué dans cet article de The Atlantic. Spotify a commencé à perdre des abonnés. La question politique qui lui est posée est la même que pour toutes les autres plateformes: celle de la responsabilité éditoriale.
Habemus Taubiram
A l'issue de la "Primaire populaire" censée unifier la gauche, cette dernière compte donc une candidate de plus... Christiane Taubira ! Outil marketing, aspirateur de data, espace de mobilisation et arme anti-Hidalgo, la Primaire populaire est tout cela à la fois. Elle a surtout permis de populariser la technique du "jugement majoritaire", qui est de plus en plus utilisée par les partis, mais pas encore connue du public. Comme l'expliquent les artisans de la Primaire populaire, c'est: "une nouvelle méthode de vote inventée par deux mathématiciens-chercheurs français du CNRS, Michel Balinski et Rida Laraki, au début des années 2000". En résumé, "ce mode de scrutin en un seul tour permet à l’électeur d’exprimer son avis sur tous les prétendants, qu’il évalue au moyen d’une échelle de mentions". Pour ce qui concerne la Primaire populaire, "les votants en ont cinq différentes à leur disposition : Très bien, Bien, Assez bien, Passable, Insuffisant." Ce n'est toujours pas clair ? Voici une explication en vidéo.
Le dessin de la semaine
Il est signé KAK pour l'Opinion et il résume bien le moment à gauche ! On peut faire semblant d'ignorer que l'essentiel de 'électorat de gauche a été capté par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron en 2017... La réalité est têtue. Il reste 70 jours à Christiane Taubira, qui refuse par ailleurs de débattre avec Eric Zemmour ou de se rendre dans des émissions populaires, pour renverser la table.
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Bonne semaine à tous !