DIRTY POLITICS - Issue #1
DIRTY POLITICS #1
Si tu ne vas pas à Zemmour...
Pourquoi Eric Zemmour est-il allé sur TF1 répondre aux questions de Gilles Bouleau ? Et pourquoi a-t-il livré une contre-performance ? Ces questions semblent accessoires. Mais elles sont, en réalité, essentielles. Un candidat populiste est un peu comme un attentat politique. Il est inattendu, violent, hors cadre et inacceptable. On est sidéré - comment ose-t-il ? Et dans ce moment de sidération, on perçoit son message et on le mémorise. C'est ce qu'on appelle la "communication en actes". Avec Nicolas Baygert, on l'enseigne à Sciences Po. C'est un classique. Un attentat est. Et cela suffit. Il ne donne pas d'interview au 20h. Les candidats populistes non plus. Ni Trump ni Salvini ni Boris Johnson n'échangeraient leur lien direct avec la population contre un 20h. Un candidat comme Zelensky, en Ukraine, a été élu président de son pays sans donner une seule interview à la presse. Lui aussi venait de la télévision, côté divertissement. Il jouait le président dans une série télé, comme Zemmour "joue" De Gaulle dans son clip de campagne.
Bourdieu sur Netflix
Comme le soulignent justement Raphaël Llorca et Jérôme Fourquet dans Le Figaro, la frontière entre la réalité et une série Netflix est devenue ténue. Pour une raison simple, qui est que Netflix devient culturellement hégémonique. Les médias ont longtemps imposé leurs codes. Bourdieu le dénonce dans les Actes de la Recherche dès 1994, dans un numéro sur "L'emprise du journalisme". Il décrit cette domination progressive de tous les champs par la logique médiatique. "Evènementialisation" de la culture, hiérarchie politique basée sur la visibilité... Et c'est en 1994 ! Internet n'était pas encore vraiment accepté en France à l'époque. La réalité est que les médias cèdent leur place à la fiction. Le 20h de TF1 cède la place à la série Netflix. C'est une "Netflixisation" de la politique.
Tes états d'âme, Eric
Quand Zemmour va au 20h de TF1, il fait le SAV de son clip YouTube, qui est un peu un mélange entre un revival en costumes façon "DownTown Abbey", la nostalgie de l'ordre ancien et des catégorisations sociales établies comprise, et une violence politique façon "Years and Years". Le clip est puissant, bien pensé, avec une narration qui permet à Zemmour de reprendre l'historicité et les "classiques" français des mains de Macron. Tout en développant une réthorique d'extrême-droite. Comme tout clip populiste, il flirte avec le ridicule. Mais il fonctionne. Aller sur TF1 et s'offusquer d'y être mal traité, c'est de la part d'Eric Zemmour une incompréhension de son statut de candidat populiste - qui ne peut par définition pas être bien accueilli dans cet univers, qu'il rejette par ailleurs absolument.
Oui, monsieur l'éditorialiste
Il y avait dans les appels d'Eric Zemmour au 20h à être traité comme "candidat" et non plus comme "éditorialiste" les mêmes accents d'impuissance que ceux de Jacques Chirac suppliant François Mitterand de le traiter comme "candidat" et non comme son Premier ministre. Sur le plateau de Gilles Bouleau cela donnait: "Ce soir Gilles Bouleau je ne suis plus éditorialiste - Oui mais vous avez été condamné comme éditorialiste".
Battre Mike Tyson
Eric Zemmour ne semble pas avoir compris, contrairement à Trump par exemple, qu’il est un candidat populiste. S’il cherche le respect et la reconnaissance du milieu politique, ou médiatique, il ne l’obtiendra pas. Et il finira détruit. On ne gagne pas à ce jeu face à des candidats surentraînés et sur leur terrain. Pas plus qu’on ne bat Mike Tyson quand on est champion de patin à glace. Derrière le combat entre Zemmour et Gilles Bouleau, il y a donc l’affrontement entre deux hégémonies culturelles. Qui vivent dans des mondes séparés. Et se dispute la domination de notre réalité. En 2002, ce sera quoi pour vous… pilule bleue ou pilule rouge ?
#PECRESSE
Un problème de baignoire
En off, les analystes prédisaient une disparition de la droite modérée, en cas de victoire de Ciotti au congrès LR. C'est donc Précresse qui gagne. Avec 60% des voix, elle dispose d'une avance confortable et "sauve" son parti de la "Zemmourisation". Pour combien de temps ? Les mêmes experts estiment que le grand mérite de "l'épisode Ciotti" a été de "décomplexer" la parole des leaders de droite. Leur argument est que la droite classique ne court plus risque d'être absorbée par un grand axe Zemmour-Ciotti-Le Pen en 2022, puisqu'elle tient le même langage. Je ne suis pas sûr de cette analyse. On ne se protège pas d'un fleuve en cru en laissant déborder la baignoire. On va donc surveiller le niveau de l'eau - c'est-à-dire les sondages - avec beaucoup d'attention au cours des prochaines semaines.
#LREM
Fillon's not dead
Faute de mieux, la stratégie de LREM face à Valérie Pécresse devrait être de la droitiser à fond, en la présentant comme "l'otage" de sa minorité "Ciottiste". Pécresse peut opposer un axe "maîtrisons la dépense publique" au "quoiqu'il en coûte" élyséen. C'est porteur auprès de l'électorat de droite et elle fera plaisir à Agnès Verdier-Molinié. Elle peut, surtout, incarner une revanche pour la droite traditionnelle. Son directeur de campagne, Patrick Stefanini, n'était-il pas celui de Fillon en 2017 ? Pécresse gagnerait aussi à s'inspirer de David Lisnard et à tacler le gouvernement sur le terrain de la compétence en matière sanitaire. Sinon, elle laisse l'exécutif en position dominante. Une incertitude dans tout cela : le vote des catholiques. Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson viennent de rallier Zemmour, tandis que Brigitte Macron les courtise ouvertement et qu'Emmanuel Macron - c'est tout sauf un hasard - tutoie le pape. Sur la BBC, on m'a interrogé sur la proximité de Pécresse et Sarkozy. Pourrait-elle être plombée par les affaires ? Le spectre de Fillon, encore.
#BLOC-NOTES
A noter cette semaine...
Pour le premier meeting du "Z" à Villepinte un ami communicant me fait remarquer en privé que son pupitre est anormalement large. Il en déduit qu'ils "essaient de lui donner une assise et la solidité qui manque du point de vue politique". Tout compte.
Voici le pupitre, occupé par l'un des "chauffeurs de salle", Stanislas Rigaud, président de "Génération Z" - bon choix de marque - qui tente de rééditer le buzz réussi autour des "Jeunes avec Macron", en 2017. Un grand merci à la journaliste, présente sur place, qui m'a transmis cette image.
Les autres photos de la préparation du meeting, diffusées par un média proche de Zemmour, montrent une Sarah Knafo, sa conseillère et qui serait enceinte de lui selon Closer, omniprésente. En off certains analystes voient Sarah Knafo comme une faiblesse pour Zemmour : elle l'enfermerait, lui monterait la tête, on ne pourrait pas concilier une campagne et la maternité / paternité d'un jeune enfant... A mi-chemin entre Lady Macbeth et Meghan Markle.
La politique et le sexisme. La politique et le vivant, aussi. Ou plutôt le refus du vivant. Un conseiller haut placé qui me recevait cette semaine expliquait l'incapacité des élites françaises à montrer l'exemple en matière de gestes barrières par leur refus de se soumettre à la biologie. Difficile d'accepter qu'on est un homme, ou une femme, quand on pense être Dieu. Difficile de craindre les maladies, quand on prétend les guérir. Le déni du COVID par certains politiques provient-il de notre tempérament monarchique ?
Enfin, à noter, la très intéressante alliance entre Gabriel Attal et Magali Berdah, la nouvelle Mimi Marchand, la "papesse de la téléréalité", agente de stars pour la plupart exilées à Dubaï, mais qu'on aurait bien tort de mépriser. Le projet de Magali Berdah ? Créer une une chaîne YouTube, où elle parlera notamment de... politique. C'est l'excellent compte Instagram "Vos stars en réalité" qui le raconte.
Très bonne semaine à tous !