DIRTY POLITICS - Issue #2
DIRTY POLITICS #2
"On ne pourra plus changer de chaîne"
"Monsieur Zemmour, quand vous étiez chroniqueur, on vous voyait à la télé, on pouvait changer de chaîne. Si vous devenez président de la République, on ne pourra plus changer de chaîne". Ces mots de l'élue marseillaise Samia Ghali constituaient une brillante conclusion de l'émission #Elysée2022 de Léa Salamé et Laurent Guimier, avec Eric Zemmour. Ils éclairent ce qui est en train de se produire. Le passage de l'éphémère de la télévision à la permanence des choses. L'inscription de Zemmour dans l'éternité du pouvoir. Le glissement du spectacle à la représentation. La représentation politique. Je ne connais pas Samia Ghali, que j'ai croisée en plateau, mais ses mots traduisent l'inconscient de l'époque. On a décrit ce processus dans la BD "Le Président" avec le dessinateur Morgan Navarro. Assister à ce glissement, en direct, est vertigineux.
Un cauchemar est si vite arrivé
Il faut lire le New Yorker pour comprendre comment les cauchemars "passent" dans la réalité. La fiction devient alors non plus un tremplin pour les populistes, modérés ou radicaux, mais un refuge... pour les démocrates. En Biélorussie, Sviatlana Tsikhanouskaya est devenu une leader politique "par accident". "Pour beaucoup de Bélarusses, écrit le New Yorker, le dégoût de Sviatlana Tsikhanouskaya pour la politique en a fait le véhicule idéal pour exprimer leur frustration et leur colère" à l'égard du pouvoir. Le mari de Sviatlana, Siarhei, est journaliste. Il anime un show contestataire - et ultra populaire - diffusé par Telegram. Pourquoi Telegram ? "Telegram était quasiment impossible à bloquer sans suspendre Internet et tous les réseaux de téléphonie mobile du pays. Dans tout le pays, Telegram a provoqué une explosion démocratique: services d'informations nationales, certains financés de l'étranger ; informations locales ; citoyens échangeant sur l'avenir du pays..." Quand Siarhei a fini en prison, Sviatlana s'est présentée à l'élection présidentielle. Le président sortant, Lukashenka, a été réélu avec ses plus de 80% habituels. Et l'a contrainte à l'exil, avec ses enfants.
Le paradis perdu
Comme d'habitude, les deux camps pensent avoir gagné à l'issue du débat Zemmour - Le Maire dans #Elysee2022. Un élu pro-Zemmour me confie que si ce dernier s'est énervé, cela le rend "sincère" et "authentique" aux yeux des électeurs. Après #Elysée2022, Zemmour inaugure une autre émission... chez Hanouna, jeudi. Un ami communicant confie en privé: "J'ai eu quelques infos sur la forme de l'émission Zemmour-Hanouna de jeudi prochain sur C8. En gros, ils invitent une quinzaine de personnes sur des thèmes différents, qui seront en face à face avec Zemmour pendant 10 minutes". Sur Telegram, mes contacts macronistes s'enthousiasment pour Bruno Le Maire, qui a révélé le "vrai visage" d'Eric Zemmour. Et qui a, surtout, réussi à surfer sur le "moment médiatique" de Zemmour pour faire campagne pour 2022. L'axe des macronistes ? Le ministre l'a repris quelques jours plus tard dans #OEED : la France serait en passe de retrouver... les "30 glorieuses". Au fond, on a le sentiment que deux nostalgies s'affrontent. Zemmour et Macron promettent chacun, à leur façon, de retrouver un paradis perdu. Celui de De Gaulle, de l'ORTF, des centrales nucléaires et de la croissance. Le nouveau monde, c'était hier. TMTC.
Match nul ?
Alors, qui a gagné le match de com' ? Eric Zemmour occupe le terrain médiatique. On lui reprochait de ne parler que d'immigration, il a pu débattre en prime time avec le ministre de l'économie, et se payer le luxe de le traiter d'incompétent sur la maîtrise des dépenses publiques - thème cher aux électeurs de droite. Bruno Le Maire a du métier. Il a interrompu Zemmour aussi souvent que possible, pour lui faire perdre ses moyens et démontrer qu'il n'était pas "présidentiable". Il a réussi très facilement, mais les téléspectateurs ont pu en retirer un sentiment de cacophonie. Au final, Zemmour ne convainc que 41% des téléspectateurs, mais... 62% des LR. Ce qui est beaucoup. Et Le Parisien conclut, assez logiquement, au match nul. A noter, Emmanuel Macron devrait intervenir mercredi soir à 21h sur LCI pour présenter "le bilan de son quinquennat". Soit, vous l'aurez compris, à la veille de l'émission d'Eric Zemmour chez Hanouna. Au passage, l'émission de Pécresse qui devait se dérouler le même soir sur LCI est... annulée. OKLM.
"Ben voyons !"
Aux Etats-Unis, le slogan "Ben voyons" figurerait déjà sur des tee-shirts, des mugs, des stickers... Tous les fans s'en empareraient. "Ben voyons", c'est l'essence même du candidat Zemmour, tel qu'il l'a martelé dans #Elysee2022, au démarrage et en conclusion : "je ne suis pas un politicien". "Ben voyons", c'est toute l'ironie de celui à qui on ne la fera plus, toute la colère du "petit" contre le gros, toute la révolte de Raoult et de sa "potion magique" contre des élites à la rationalité impuissante, voire malfaisante. La dérobade spectaculaire de Zemmour sur la question de la COVID, face à Léa Salamé, ne s'explique pas autrement. A propos de la COVID, le New Yorker explique que le déni du dictateur biélorusse sur cette question pourrait causer sa chute. Même observation en Grande-Bretagne, ou l'ex-dircom de Boris Johnson a annoncé, en larmes, sa démission. Elle avait fait la fête à Downing Street avec ses équipes, en plein couvre-feu. Prendre soin de sa population et montrer l'exemple. L'avertissement vaut autant pour les dictateurs... que pour les démocrates.
Les "Macronistes de Dubaï"
Je vous parlais la semaine dernière de l'alliance de com' entre Gabriel Attal et Magali Berdah, la nouvelle Mimi Marchand, la "papesse de la téléréalité", agente de stars pour la plupart exilées à Dubaï. On a franchi encore une étape cette semaine. Les "Macronistes de Dubaï", comme les surnomme plaisamment un copain conseiller ministériel, se sont invitées chez Marlène Schiappa. On ne sait plus si le scandale tient à la présence même des influenceuses dans un ministère, sur fonds publics - c'est l'angle de David Lisnard sur Twitter -, ou au fait qu'elles chantaient à tue-tête "Qu'est-ce qu'on rigole chez Marlène Schiappa" - c'était l'angle des critiques dans #TPMP -, ou au fait qu'elles ne portaient pas de masques, ou au fait que la réunion avait comme prétexte la lutte contre les violences faites aux femmes... Ou bien à tout cela à la fois. Ce qui fait beaucoup, admettons-le. La "défense" de Magali Berdah a été bien préparée: "Il y a eu 82% d'abstention aux régionales chez les jeunes. Nous, on a des codes. Servez-vous de cette puissance pour communiquer auprès des jeunes". Elle rêve à haute voix d'un "ministère des réseaux sociaux". Non sans le motiver: "c'est le canal de communication numéro 1 dans le monde entier, et ce n'est pas réglementé". Le pire... c'est qu'elle a raison.
1 an d'influence
Le compte instagram "Vos stars en réalité" s'est amusé à recenser toutes les interactions - connues - entre l'exécutif et les influenceurs. Et c'est effectivement très intéressant.
Le Boys' Club de Zemmour
Mon coprofesseur à Sciences Po Nicolas Baygert décrypte pour vous le Boys'Club de Zemmour. Autrement dit "l’« alt-right » à la française", pour The Conversation. A noter, cette définition de l'alt-right: "un terme générique désignant une coalition d’activistes en ligne opérant principalement dans les pays anglophones. Dans la recherche, l’alt-right est considérée comme une alliance englobant la culture de trolls en ligne, la mouvance masculiniste et les identitaires, avec des variations significatives des influences et des pratiques. L’alt-right s’adresse spécifiquement aux jeunes générations partageant le sentiment d’un déclin civilisationnel corrélé aux poussées « immigrationnistes », « multiculturalistes » et plus récemment « wokistes »." Nicolas explique que, "en France, les médias témoignent d’un intérêt grandissant pour une nouvelle galaxie d’idéologues hexagonaux ayant dressé leur camp sur YouTube, Twitter, ou TikTok", comme Estelle RedPill, Papacito, Julien Rochedy, Baptiste Marchais et le Youtubeur Raptor. Rappelez-vous d'une chose : si vous n'avez pas compris qu'Eric Zemmour est masculiniste, alors vous n'avez rien compris à Eric Zemmour. Bientôt une battle avec les "Macronistes de Dubaï" ?
#BLOC-NOTES
A noter cette semaine...
J'ai eu la chance d'être invité au 1er Séminaire des Communicants de l'Etat, organisé par le SIG de Michaël Nathan. Des débats passionnants qui ont permis, et c'est très rare, aux communicants publics de faire un bilan de leurs réussites et de leurs erreurs, notamment dans le domaine de la COVID-19. Très bonne intervention du sondeur Jean-Daniel Lévy, qui a combattu quelques idées reçues. En particulier, a-t-il insisté, ce ne sont pas les jeunes qui sont les plus mauvais élèves en matière des gestes barrières. Bien au contraire.
Les Français ont-ils une intention de vote ? C'est la question - importante - posée par les sondeurs Laure Salvaing et Emmanuel Rivière, chez Kantar Public. Leur conclusion ? "La moitié des électeurs n’ont encore aucune idée du candidat pour qui il voteront" à la présidentielle. Ceci étant posé, "c’est Valérie Pécresse qui progresse le plus (...) la désignation du candidat LR a permis aux électeurs de cette famille de se projeter plus clairement sur leur futur vote". A suivre.
Excellentissime pub signée Ikea. "Enfin à la maison", en allemand dans le texte. Angela Merkel a quitté le siège du pouvoir. Mais pas celui de notre imaginaire.
"Forcer l'Amérique de l'ère d'Internet à se regarder dans un miroir". C'était le but des promoteurs de la fausse théorie complotiste - on touche au sublime - prétendant que "les oiseaux ne sont pas réels" mais ont été grand-remplacés au cours des années 1970 par des drones destinés à surveiller la population. Doit-on désinformer pour réinformer ? Vous avez 4 heures.
Dans le JDD, l'ami sondeur Frédéric Dabi rappelle - malheureusement l'article n'est pas disponible en ligne - que "la jeunesse qui va bien vote Macron ; celle qui souffre croit en Le Pen et Zemmour". Les 18-30 sont surtout tentés par l'abstention. Zemmour aurait "le plus gros potentiel de mobilisation" avec 76% de "certains d'aller voter", contre 48% pour Macron et 37% pour Mélenchon.
L'année de la présidence française du Conseil de l'Union Européenne - et non de l'Europe - est un temps électoral fort pour Emmanuel Macron. Comme en 2008, avec Nicolas Sarkozy, cet axe de com' donnera lieu à d'innombrables couvertures de presse, comme celle-ci:
L'enjeu est de hisser le président au-dessus de la mêlée de #2022. C'est un récit héroïque comme Emmanuel Macron les affectionne, avec un Pont d'Arcole situé à une heure de Paris, à Bruxelles. Tous les ministres seront mobilisés, et priés de "manger" des kilomètres ! Voici le calendrier de leur déplacements. Polémique à prévoir sur l'utilisation des fonds de l'Etat en campagne.
Un copain dessinateur planche sur la campagne 2022, pour un projet tout à fait confidentiel. Comme vous êtes des amis, il m'a autorisé à vous dévoiler quelques croquis... Je vous préviens dès que ça sort !
A sortir en février 2022, ce documentaire tout à fait d'actualité de Jean-Pierre Pozzi. "La disparition", qui court les festivals avec un très grand succès, met en scène un autre dessinateur, Mathieu Sapin, en détective qui enquête sur la fin de la gauche ! Je suis au générique. La bande-annonce peut-être dans la prochaine newsletter !
Vous ne le saviez pas, mais... La "Kiffance" de Naps a été le morceau le plus téléchargé en France, sur l'ensemble des plateformes d'écoute de musique (Spotify, Deezer, Apple Music...) en 2021. On s'en fout ? Pas tout à fait. Dans cette analyse des paroles réalisée par l'excellent site Genius.com vous verrez que le luxe, aujourd'hui, est de consommer haut de gamme, mais aussi et surtout de rester soi-même. Ce qui se résume par ces paroles: "J'prends Uber Eats, j'suis calé au George V". Comme le note le site: "Ici, Naps fait référence à une phrase tirée de “Palette”, de son album “Les mains faites pour l’or”, où il dit “Sandwich à la catalane, on le mange dans un grand palace”. Ce qui pourrait d’ailleurs signifier que même si son corps est dans des grands palaces ou hôtels, son coeur, lui, reste au quartier dans la galère."
Très bonne semaine à tous !