DIRTY POLITICS - Naissance du populisme de gouvernement - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet - Numéro #18
dirtypolitics.substack.com
Qui peut encore empêcher Marine Le Pen d'être élue Présidente de la République en 2027 ? C'est la question que je me posais en lisant l'interview de l'écrivain italien Antonio Scurati - l'auteur du magnifique "M" sur la montée au pouvoir de Benito Mussolini, dans Le Monde : "La démocratie s’avère une expérience ratée, le Parlement complique inutilement la vie, tous les problèmes se réduisent à un unique envahisseur ennemi, cet ennemi se tient devant toi et je suis à tes côtés. C’est avec cette formule à la fois menaçante et réconfortante qu’il y a cent ans Mussolini a séduit l’Italie pendant que ses squadristes la violentaient. En elle, hier comme aujourd’hui, palpite le cœur noir de la séduction populiste."Tous les feux, progressivement, tournent au brun. Le débat sur la loi sur l'immigration est un chef-d'oeuvre d'ambiguïté, où alternent discours "humanistes", sur la volonté d'aider les travailleurs clandestins, et discours d'extrême-droite. "On veut ceux qui bossent, on ne veut pas ceux qui rapinent", déclare ainsi Gérald Darmanin. Il suffirait, en réalité, de peu - quelques articles de presse sur le "nouveau visage" du RN et sur le recentrage réussi d'une leader qui a su faire la preuve de son sérieux et de sa capacité à "cogouverner" à l'Assemblée Nationale - pour que le pas vers Marine Le Pen soit franchi.Au passage, le ministre de l'Intérieur s'affirme comme le vrai Premier ministre et chef politique de la majorité Renaissance-LR-plus-RN-si-affinités qui se dessine. Le rapprochement Renaissance-LR est poussé par Nicolas Sarkozy, qui a vu l'opportunité de réunir sa famille politique en pensant l'après-Macron.Pour comprendre comment on est passé de l'ère Hollande, quand "François tout-puissant" contrôlait l'Elysée, l'Assemblée Nationale, le Sénat, la plupart des régions et des grandes villes au nom de la gauche, à ce virage massif vers le camp conservateur, on peut lire le politologue Charles Devellennes.Dans son livre en anglais, qui vient de paraître,"Macron's regime, The Ideology of the New Right in France", il explique que: "Le PS sous la présidence Hollande, de 2012 à 2017, est allé tellement à droite qu'il a perdu son attrait politique pour l'électorat de gauche", qui a basculé vers LREM. Ce qui a permis ce basculement, c'est le "en même temps", qui offrait aux électeurs de gauche la possibilité d'accepter, voire même de valoriser, leurs propres contradictions. Sur le rôle de l'Etat dans l'économie, l'emploi, les retraites ou la verticalité du pouvoir. Se contredire politiquement n'était plus un défaut ni le signe d'un embourgeoisement, au moins intellectuel, mais une qualité. Vous n'êtes pas en train de devenir de droite, disait Emmanuel Macron aux électeurs PS, vous quittez la "vieille politique" pour arriver dans le "nouveau monde".Pendant le premier quinquennat, explique Charles Devellennes, les Gilets Jaunes furent "la seule vraie opposition" au gouvernement. Une opposition elle-même contradictoire, soutenue à l'origine par les électeurs de droite, mais draguée lourdement par la gauche, souhaitant des changements institutionnels, mais incapable de dégager une représentation. Et tout aussi hostile qu'Emmanuel Macron aux corps intermédiaires.Pour Charles Devellennes, c'est cette confrontation et "l'approche centrée sur la loi et l'ordre de Macron en 2018-2019, avec une répression souvent violente" du mouvement des Gilets Jaunes qui a "convaincu beaucoup des électeurs qui avaient encore voté à droite en 2017 de se ranger du côté de Macron, dès 2019". Pour aboutir à un clivage, constaté dès les élections législatives de 2022, entre un pôle LREM - LR et un pôle NUPES, avec le RN comme arbitre, dans les nouveaux habits de ce que j'appellerais le "populisme de gouvernement".Le populisme de gouvernement est contemporain du macronisme. Comme LREM, au fond, le RN propose un dépassement du clivage droite-gauche - le "ni droite ni gauche" et le "et droite et gauche" sont les deux figures d'un même recyclage électoral du dégagisme. Comme lui, aussi, il a le culte du chef - qui est un trait de plus rapprochant LREM de la droite classique. Comme lui, il croit aux solutions magiques - en flirtant avec elles, comme lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu chez Didier Raoult en pleine crise sanitaire, ou en les assumant franchement, ce qui conduit le RN aujourd'hui à être l'avocat des antivax au parlement. Un terrain où il est rejoint par... LFI, sous pression de ses élus d'outre-mer.On ne peut pas comprendre la visite d'Emmanuel Macron à Didier Raoult - qu'Olivier Véran, par exemple, a toujours tenu à distance - sans cette perméabilité qui s'est installée entre le populisme et les formes politiques traditionnelles. Le populisme "actualise", au sens de Michel Foucault, la communication politique française. "Quand une nouvelle formation apparaît, avec de nouvelles règles et de nouvelles séries, ce n'est jamais d'un coup, en une phrase ou dans une création, mais en brique, avec des survivances, des décalages, des réactivations d'ancien éléments qui subsistent sous les nouvelles règles", écrivait Gilles Deleuze dans son analyse de L'Archéologie du savoir.Le populisme de gouvernement pourrait se définir par l'opposition, radicale et systématique, entre les élites et le peuple, mais avec une volonté d'apparaître apaisé et crédible, comme alternative de gouvernement. A Sciences Po, avec le politologue Nicolas Baygert, nous avons vu, grâce aux rapports de nos étudiants, venus des quatre coins de la planète, le populisme apparaître et toucher progressivement l'ensemble du monde démocratique, sous des formes variables et localisées : les Etats-Unis, l'Inde, la Grande-Bretagne, le Brésil, la France ou encore l'Italie.Ce phénomène a été encouragé par des régimes autoritaires, dont la politique d'influence est à la fois délibérée et novatrice dans la forme. Si vous vous demandez, par exemple, pourquoi les ambassades chinoises sont devenues aussi ouvertement agressives sur Twitter, l'explication est dans l'utilisation du populisme comme arme diplomatique. Au passage, la communication politique s'est, depuis longtemps, globalisée. Adoucir son image en caressant des chatons n'est pas, loin s'en faut, une invention française.Ce schéma d'"union des droites" par le RN peut-il être contrarié par l'élection à la tête de LR d'Eric Ciotti, mal élu et plombé par une affaire d'emplois fictifs, par ailleurs tenant d'une "ligne dure" ? Marine Le Pen peut-elle être mise en échec par Edouard Philippe ou Gérald Darmanin, sachant que le Président "pas encore sortant" n'entend pas laisser dépasser une seule tête ? Comme il l'a, d'ailleurs, très clairement signifié lors de son investiture. En dehors d'une surprise venue de Jean-Luc Mélenchon, qui vient de renforcer son pouvoir à LFI, d'une poussée d'Eric Zemmour ou d'une troisième (et improbable) candidature d'Emmanuel Macron, dans un contexte de forte baisse du pouvoir d'achat, l'histoire de 2027 paraît déjà écrite. Ce sera plutôt du Houellebecq.
DIRTY POLITICS - Naissance du populisme de gouvernement - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet - Numéro #18
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DIRTY POLITICS - Naissance du populisme de gouvernement - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet - Numéro #18
Qui peut encore empêcher Marine Le Pen d'être élue Présidente de la République en 2027 ? C'est la question que je me posais en lisant l'interview de l'écrivain italien Antonio Scurati - l'auteur du magnifique "M" sur la montée au pouvoir de Benito Mussolini, dans Le Monde : "La démocratie s’avère une expérience ratée, le Parlement complique inutilement la vie, tous les problèmes se réduisent à un unique envahisseur ennemi, cet ennemi se tient devant toi et je suis à tes côtés. C’est avec cette formule à la fois menaçante et réconfortante qu’il y a cent ans Mussolini a séduit l’Italie pendant que ses squadristes la violentaient. En elle, hier comme aujourd’hui, palpite le cœur noir de la séduction populiste."Tous les feux, progressivement, tournent au brun. Le débat sur la loi sur l'immigration est un chef-d'oeuvre d'ambiguïté, où alternent discours "humanistes", sur la volonté d'aider les travailleurs clandestins, et discours d'extrême-droite. "On veut ceux qui bossent, on ne veut pas ceux qui rapinent", déclare ainsi Gérald Darmanin. Il suffirait, en réalité, de peu - quelques articles de presse sur le "nouveau visage" du RN et sur le recentrage réussi d'une leader qui a su faire la preuve de son sérieux et de sa capacité à "cogouverner" à l'Assemblée Nationale - pour que le pas vers Marine Le Pen soit franchi.Au passage, le ministre de l'Intérieur s'affirme comme le vrai Premier ministre et chef politique de la majorité Renaissance-LR-plus-RN-si-affinités qui se dessine. Le rapprochement Renaissance-LR est poussé par Nicolas Sarkozy, qui a vu l'opportunité de réunir sa famille politique en pensant l'après-Macron.Pour comprendre comment on est passé de l'ère Hollande, quand "François tout-puissant" contrôlait l'Elysée, l'Assemblée Nationale, le Sénat, la plupart des régions et des grandes villes au nom de la gauche, à ce virage massif vers le camp conservateur, on peut lire le politologue Charles Devellennes.Dans son livre en anglais, qui vient de paraître,"Macron's regime, The Ideology of the New Right in France", il explique que: "Le PS sous la présidence Hollande, de 2012 à 2017, est allé tellement à droite qu'il a perdu son attrait politique pour l'électorat de gauche", qui a basculé vers LREM. Ce qui a permis ce basculement, c'est le "en même temps", qui offrait aux électeurs de gauche la possibilité d'accepter, voire même de valoriser, leurs propres contradictions. Sur le rôle de l'Etat dans l'économie, l'emploi, les retraites ou la verticalité du pouvoir. Se contredire politiquement n'était plus un défaut ni le signe d'un embourgeoisement, au moins intellectuel, mais une qualité. Vous n'êtes pas en train de devenir de droite, disait Emmanuel Macron aux électeurs PS, vous quittez la "vieille politique" pour arriver dans le "nouveau monde".Pendant le premier quinquennat, explique Charles Devellennes, les Gilets Jaunes furent "la seule vraie opposition" au gouvernement. Une opposition elle-même contradictoire, soutenue à l'origine par les électeurs de droite, mais draguée lourdement par la gauche, souhaitant des changements institutionnels, mais incapable de dégager une représentation. Et tout aussi hostile qu'Emmanuel Macron aux corps intermédiaires.Pour Charles Devellennes, c'est cette confrontation et "l'approche centrée sur la loi et l'ordre de Macron en 2018-2019, avec une répression souvent violente" du mouvement des Gilets Jaunes qui a "convaincu beaucoup des électeurs qui avaient encore voté à droite en 2017 de se ranger du côté de Macron, dès 2019". Pour aboutir à un clivage, constaté dès les élections législatives de 2022, entre un pôle LREM - LR et un pôle NUPES, avec le RN comme arbitre, dans les nouveaux habits de ce que j'appellerais le "populisme de gouvernement".Le populisme de gouvernement est contemporain du macronisme. Comme LREM, au fond, le RN propose un dépassement du clivage droite-gauche - le "ni droite ni gauche" et le "et droite et gauche" sont les deux figures d'un même recyclage électoral du dégagisme. Comme lui, aussi, il a le culte du chef - qui est un trait de plus rapprochant LREM de la droite classique. Comme lui, il croit aux solutions magiques - en flirtant avec elles, comme lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu chez Didier Raoult en pleine crise sanitaire, ou en les assumant franchement, ce qui conduit le RN aujourd'hui à être l'avocat des antivax au parlement. Un terrain où il est rejoint par... LFI, sous pression de ses élus d'outre-mer.On ne peut pas comprendre la visite d'Emmanuel Macron à Didier Raoult - qu'Olivier Véran, par exemple, a toujours tenu à distance - sans cette perméabilité qui s'est installée entre le populisme et les formes politiques traditionnelles. Le populisme "actualise", au sens de Michel Foucault, la communication politique française. "Quand une nouvelle formation apparaît, avec de nouvelles règles et de nouvelles séries, ce n'est jamais d'un coup, en une phrase ou dans une création, mais en brique, avec des survivances, des décalages, des réactivations d'ancien éléments qui subsistent sous les nouvelles règles", écrivait Gilles Deleuze dans son analyse de L'Archéologie du savoir.Le populisme de gouvernement pourrait se définir par l'opposition, radicale et systématique, entre les élites et le peuple, mais avec une volonté d'apparaître apaisé et crédible, comme alternative de gouvernement. A Sciences Po, avec le politologue Nicolas Baygert, nous avons vu, grâce aux rapports de nos étudiants, venus des quatre coins de la planète, le populisme apparaître et toucher progressivement l'ensemble du monde démocratique, sous des formes variables et localisées : les Etats-Unis, l'Inde, la Grande-Bretagne, le Brésil, la France ou encore l'Italie.Ce phénomène a été encouragé par des régimes autoritaires, dont la politique d'influence est à la fois délibérée et novatrice dans la forme. Si vous vous demandez, par exemple, pourquoi les ambassades chinoises sont devenues aussi ouvertement agressives sur Twitter, l'explication est dans l'utilisation du populisme comme arme diplomatique. Au passage, la communication politique s'est, depuis longtemps, globalisée. Adoucir son image en caressant des chatons n'est pas, loin s'en faut, une invention française.Ce schéma d'"union des droites" par le RN peut-il être contrarié par l'élection à la tête de LR d'Eric Ciotti, mal élu et plombé par une affaire d'emplois fictifs, par ailleurs tenant d'une "ligne dure" ? Marine Le Pen peut-elle être mise en échec par Edouard Philippe ou Gérald Darmanin, sachant que le Président "pas encore sortant" n'entend pas laisser dépasser une seule tête ? Comme il l'a, d'ailleurs, très clairement signifié lors de son investiture. En dehors d'une surprise venue de Jean-Luc Mélenchon, qui vient de renforcer son pouvoir à LFI, d'une poussée d'Eric Zemmour ou d'une troisième (et improbable) candidature d'Emmanuel Macron, dans un contexte de forte baisse du pouvoir d'achat, l'histoire de 2027 paraît déjà écrite. Ce sera plutôt du Houellebecq.