Edouard Philippe, l'homme politique sans visage
DIRTY POLITICS #21 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
Que se passe-t-il quand un homme politique, populaire et probable candidat à une élection présidentielle, perd son visage ? C’est la situation inédite dans laquelle se trouve Edouard Philippe. Ce qui l’a conduit à s’expliquer dans une interview à BFMTV.
Des précédents existent, mais ils sont rares. En 2004, le futur Président ukrainien Viktor Iouchtchenko est empoisonné à la dioxine. Sans doute par Moscou et - déjà - en raison de son orientation pro-européenne. Il réussit à faire campagne, à grands renforts d’injections, qui couvrent ses douleurs insupportables. Il est élu. Mais il est totalement défiguré.
Le visage d’un homme politique est l’un de ses “outils” de communication les plus importants. Dans une étude célèbre menée à l’Université de Columbia, en 2007, des volontaires sont parvenus à prédire le résultat d’une élection avec près de 70% de réussite, simplement en regardant le visages de candidats qu’ils ne connaissaient pas, pendant une durée de 100 à 250 millisecondes.
“Les visages sont une riche source d'informations sociales, expliquent les chercheurs. Nous attribuons des traits de caractère aux visages auxquels nous sommes exposés, même après un temps extrêmement court. Nous avons montré, par exemple, que 100 millisecondes d'exposition à un visage sont suffisantes pour que nous portions des jugements d’une très grande variété sur le caractère de la personne que nous avons en face de nous, et notamment sur sa compétence”, dont la perception est l’un des principaux déterminants du vote.
Ils précisent qu’un visionnage plus long “conduit seulement à des prédictions moins exactes des résultats d’une élection”. Cela peut sembler paradoxal, mais les hypothèses que nous formulons sur le caractère des candidats, simplement en voyant leur visage, ont d’autant plus de chance de se révéler exactes, ou du moins partagées par les autres, que notre temps de réflexion est limité. Le caractère “rapide, irréfléchi et intuitif” de ces jugements est aussi ce qui rend “leur influence sur la décision de voter” difficile à identifier, et à admettre.
Les électeurs indécis, “c’est-à-dire ceux qui peuvent le plus faire basculer une élection”, sont les plus sensibles aux visages des candidats. Un homme politique “qui a l’air compétent” peut, dans une certaine mesure, dissuader les électeurs les moins motivés de son adversaire de se déplacer.
L’âge des électeurs joue, également, un rôle. D’après une étude publiée en 2016, ce sont les jeunes votants qui sont les plus influencés par “l’apparence de compétence” - “l’intelligence” étant la première qualité qu’ils recherchent chez un candidat. Tandis que les électeurs âgés sont davantage sensibles à l’“attraction physique” exercée par le candidat, ainsi qu’à des “traits de domination” et “de maturité”.
Une autre étude, datant de 2006 et plus connue, a démontré que ces critères peuvent varier en fonction de la culture du pays concerné, et surtout du contexte. En temps de guerre, un visage “à la George W. Bush” est préféré. Alors qu’un visage “à la John Kerry” est plébiscité en temps de paix. Le premier type de visage est perçu comme “plus masculin et dominant”, mais aussi “moins intelligent et magnanime” que le second. L’étude de 2007 revient sur ce résultat, qui “suggère que l'adaptation du visage au contexte peut être un facteur plus important dans les élections que le fait d'avoir une apparence compétente”, ou attractive.
Comme le notent les chercheurs de l’Université de Columbia : “ces découvertes sont cohérentes avec de larges pans de la recherche en psychologie sociale, qui ont établi que des “fines couches” de comportements non verbaux peuvent fournir suffisamment d’informations pour formuler des jugements sociaux exacts.” Et, en l’occurrence, pour prédire le résultat d’une élection avec un taux de réussite de 70%.
Tout en reconnaissant “ne pas être encore habitué” à son nouveau visage, le Président ukrainien Viktor Iouchtchenko expliquait qu’il était “le symbole de tout ce qui n’allait pas avec l’Ukraine”. “Mon pays aussi est défiguré, témoignait-il, peu de temps après son élection. Maintenant, nous devons tous les deux guérir.”
L’urgence d’Edouard Philippe est de donner un sens à sa transformation physique. Tout comme Viktor Iouchtchenko. En prenant les devants, il espère mettre sa maladie derrière lui. En affirmant qu’elle n’est “ni douloureuse ni contagieuse ni grave”, il tente de rassurer sur sa capacité à gouverner. En expliquant que "des jeunes de 15 ans” en souffrent, et en rappelant son âge réel - 51 ans -, il veut conjurer l’image de vieillard qu’elle risque d’imposer.
“La relation avec le visage peut certes être dominée par la perception, mais ce qui est spécifiquement visage, c'est ce qui ne s'y réduit pas”, notait le philosophe Emmanuel Levinas. Autrement dit, ce qui est important dans un visage, ce n’est pas ce qu’il nous montre. C’est ce qu’il exprime, ou plutôt ce qui s’exprime à travers lui, de fragilité, d’humanité. Notre visage est ce que nous avons “de plus nu, bien que d’une nudité décente”. Le visage est une invitation au dialogue. Quel sera notre dialogue avec Edouard Philippe ?
Retraité comme jamais
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il lancé toutes ses forces dans une bataille en solitaire ? Au meilleur moment pour lui, mais aussi au pire moment pour le pays ? Sans préparation et avec un ancrage très résolument à droite ? Parviendra-t-il à imposer sa “grande” réforme ? J’ai donné plusieurs interviews cette semaine sur la réforme des retraites, notamment celle-ci pour Libération : Quand un gouvernement durcit son discours, c’est qu’il a déjà perdu la bataille. Et pour l’Opinion : Macron seul contre tous.


Ok Macron
Magnifique conférence à Bruxelles ! Avec Nicolas Baygert et son - mais je devrais dire notre, parce qu’il appartient à tous ceux qui s’intéressent à la communication politique - Laboratoire Protagoras nous avons débattu du dernier livre du politologue Charles Devellennes, de l’Université de Kent : The Macron Regime, The Ideology of The New Right In France. Par bonheur, tout a été enregistré et la vidéo est accessible sur la chaîne Twitch du Lab. En attendant, je vous encourage à acheter son livre. Si vous êtes un vrai geek politique, vous le compléterez par Technopopulism : The New Logic of Democratic Politics de Christopher Bickerton et Carlo Invernizzi Accetti, qui traite également du “cas” Macron. Avec cette citation, à méditer dans le contexte actuel : “Dans cette variante du technopopulisme, les citoyens ne sont pas détenteurs d’un savoir, mais porteurs de problèmes, auxquels le leader apporte une solution”. Brillant.



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