La Guerre d'Ukraine n'aura pas lieu
DIRTY POLITICS #22 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
“Emmanuel Macron est un Chirac sans Villepin”. C’est ce que m’a confié un ancien conseiller de l’Elysée, lapidaire. Nous parlions de la tournée, désastreuse au plan de l’image, du président français en Afrique. Avec les gifles infligées dans la presse par le Roi du Maroc, Mohammed VI, et en public par le Président de RDC, Félix Tshisekedi. Sans compter la mésentente affichée avec le Président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso. Ni les accusations d’ingérence politique et de “greenwashing” au Gabon. Le tout sur fond du retrait des troupes françaises du Sahel, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Tchad, du Burkina Faso et du Mali.
Les images d’Emmanuel Macron en déambulation dans une forêt gabonaise “Potemkine” et complimentant le régime d’Ali Bongo pour sa politique environnementale en pleine année électorale, avant d’appeler… à tourner la page de la Françafrique, ont été diversement commentées. Elles illustrent bien l’ambiguïté de la position française.
“Emmanuel Macron est un Chirac sans Villepin”. C’est ce manque de colonne vertébrale dans les affaires étrangères que visait mon interlocuteur. Une formule qui s’applique, également, au dossier ukrainien.
En 2003, Dominique de Villepin faisait valoir la résolution de la France à ne pas entrer dans le conflit irakien, par un discours historique à la tribune de l’ONU, dont la conclusion est restée célèbre: “Et c’est un vieux pays, la France, un continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un vieux pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’histoire et devant les hommes”.
En 2022, Emmanuel Macron est un président qui n’a plus de vrai Premier ministre, plus de vrai ministre des Affaires étrangères, plus réellement de corps diplomatique. Et qui n’a pas davantage de ligne identifiable sur l’invasion de l’Ukraine.
Faut-il aller en guerre ? Faut-il faire la paix ? Donnant des gages tantôt à Zelensky, tantôt à Poutine, le président français change parfois radicalement de discours en l’espace de 24 heures. Ce qui suscite l’étonnement de Kiev comme de Moscou, et fait dire à l’un de ses soutiens, l’analyste François Heisbourg, que “le problème avec la guerre, c’est qu’il est très difficile de faire du en même temps, soit on gagne, soit on perd”.
Tout se passe comme si l’exécutif français ne comprenait pas les nouveaux termes d’une communication devenue une communication de guerre froide. Comme s’il ne saisissait pas les enjeux d’une époque où être “neutre” - pour reprendre le terme, très macroniste, employé par le Président français au Gabon - n’est plus possible.
Ce décalage a été perceptible dès le début du conflit. Avant et dans les premiers temps de l’invasion de l’Ukraine, chaque échange entre le Président français et Vladimir Poutine faisait l’objet d’une communication de l’Élysée. A l’époque, Emmanuel Macron mise tellement sur ces échanges pour désamorcer la crise qu’il va jusqu’à les faire filmer par une équipe de France 2. Le Kremlin profite, tout à fait cyniquement, de cet espoir pour marteler ses messages auprès de l’opinion française. De la simple désinformation - “nous ouvrons des corridors humanitaires vers la Russie, à la demande de la France” - à la menace porte et simple. Comme l’illustre cette une de La Dépêche.
Pour être relayé instantanément dans toute la presse française, Vladimir Poutine n’a qu’à décrocher son téléphone.
Comment s’explique notre naïveté, qui ne se limite pas à Emmanuel Macron ? Par l’impréparation de notre classe politique, dans son ensemble, face à la formidable machine d’influence russe. Et à la nouvelle donne qui s’est installée.
Pour reprendre l’expression de Marine Le Pen au sujet des députés LR à l’Assemblée Nationale, nos politiques sont au début de la crise comme “un banc d’huîtres” prêts à être dégustés par le Kremlin. Il faut relire ces phrases de Jean Giraudoux, dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu : “Aux approches de la guerre, tous les êtres sécrètent une nouvelle sueur, tous les événements revêtent un nouveau vernis, qui est le mensonge. Tous mentent.”
Les Russes ont bien mieux compris, et beaucoup plus tôt que nous, les enjeux de ce que les militaires français appellent désormais la “lutte informatique d’influence” ou “L2l”. Ce terme désigne, comme l’explique le ministère de la Défense dans un rapport daté de 2021, un “durcissement” de la “compétition entre grandes puissances”, qui passe par la “guerre de l’information” et “la manipulation des opinions” à des fins de déstabilisation.
La désinformation est une pratique qui a pris des proportions inédites via les réseaux sociaux et des médias comme Russia Today (RT) ou Sputnik. S’il a fallu des années pour bannir ces médias d’Europe, ces années n’ont pas été vides pour l’influence russe, qui a pu recruter de nombreux journalistes et intellectuels, simplement en leur offrant du temps d’antenne. Un temps d’antenne dont ils ne bénéficiaient pas ailleurs. Chassés d’Europe, ces médias se sont, d’ailleurs, déplacés depuis en Afrique, générant et entretenant un fort sentiment anti-français. Au point que l’on parle d’un “rideau de fer médiatique” s’abattant sur le continent.
RT ne s’est jamais caché, comme l’a démontré récemment France Inter, d’être directement subventionnée par l’Etat russe ni de pratiquer “un traitement alternatif de l’actualité”. Une réalité “alternative”… c’était aussi l’expression employée par les équipes de communication du président Donald Trump. Autre grand adepte de la désinformation.
C’est notre méconnaissance de cette désinformation qui explique, par exemple, notre sidération face à la jonction des courants pro-Poutine et antivax sur les réseaux sociaux. Un important rapport de l’IRSEM, daté de 2021, l’explique pourtant clairement.
Voici une anecdote, relayée par le rapport, qui en éclaire la logique : “Lorsque le virus du sida apparaît, au début des années 1980, les Soviétiques saisissent immédiatement l’opportunité pour mettre en branle une opération de désinformation destinée à faire accroire que l’armée américaine est à l’origine du virus du sida, celui-ci devant servir d’arme biologique contre les Afro-Américains et les homosexuels. L’opération proprement dite débute le 17 juillet 1983 par une lettre publiée dans The Patriot, un journal indien établi en 1962 par le KGB afin de propager de fausses informations servant les intérêts de l’URSS. La lettre en question, signée d’un scientifique américain anonyme mais fabriquée en réalité par le KGB, affirmait que le sida était le résultat d’expériences de guerre biologique menées par l’armée américaine.”
Cette campagne souterraine est baptisée “Infektion”. Elle sera menée pendant des années via des canaux différents. Et si vous pensez qu’elle n’a pas eu d’impact… Vous vous trompez. Lourdement.
Au total, “des centaines de quotidiens, dont nombre d’entre eux sans lien aucun avec l’Union soviétique, reprennent le récit fabriqué par le KGB, parfois même en y insérant des informations qui ne figuraient pas dans la lettre d’origine. Certains articles affirment ainsi que le sida est le résultat d’un complot quand d’autres déclarent que c’est un simple accident de la recherche américaine sur les armes biologiques. La “théorie” continue de se répandre et trouve des relais utiles au sein de la gauche contestataire américaine (…) Le 30 mars 1987, le récit fabriqué par le KGB parvient jusqu’au plateau de Dan Rather, présentateur de CBS News, qui donne un souffle considérable à l’opération. La campagne soviétique a obtenu un retentissement immense, notamment en Afrique et dans certaines couches de la société américaine où cette théorie continue de circuler aujourd’hui. En 2005, par exemple, le rappeur Kanye West reprend ce thème dans sa chanson « Heard ’Em Say ». Elle constitue donc un modèle du genre dont les Russes se sont inspirés pour leur campagne de désinformation autour des vaccins”.
“Et je sais que le gouvernement administre le SIDA…” (Kanye West)
D’après le rapport, la désinformation russe suit un processus en 7 étapes :
1 - Identifier les fragilités, dissensions et fractures au sein de la société cible
2 - Créer un mensonge suffisamment énorme pour court-circuiter la réflexion
3 - Le mensonge doit comporter un élément de vérité
4 - Masquer l’origine du mensonge
5 - Identifier des “idiots utiles” susceptibles de relayer le message
6 - Toujours nier le lien avec la Russie
7 - Miser sur le temps long.
Le temps long, c’est la clé. En annonçant seul, et en paraissant l’imposer à son gouvernement, l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, Poutine en a fait une affaire personnelle. Il a perdu la première phase de la guerre communicationnelle. Mais il peut espérer l’emporter sur le long terme, grâce à la désinformation et au nombre de relais, plus ou moins conscients, qui portent ses messages dans l’espace public. Des plus modérés - “l’OTAN porte une part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre”, “Kiev est le berceau de la Russie”, “l’impérialisme est naturel chez les Russes”, ”évitons une troisième guerre mondiale” - aux plus radicaux - “les Etats-Unis cherchent à nous contrôler”, voire “à nous éradiquer”, seul “Poutine peut nous sauver de démocraties défaillantes” ou “complices”. Et l’argument ultime : “il n’y pas de guerre en Ukraine”.
L’offensive médiatique incessante de Zelensky, devenu une icône historique en quelques mois, montre que le leader ukrainien a, contrairement à nous, parfaitement saisi l’enjeu de cette “guerre de la communication”. Il la mène. Et il la mène à fond.
Heureusement, il reste un antidote à la désinformation. Il a, d’ailleurs, fait ses preuves et continue de faire ses preuves dans l’histoire de la Russie. C’est le rire. Comme l’a appris à ses dépens le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, lors d’une réunion du G20 en Inde.
La dérision, comme ultime rempart ?
La Disparition sur YouTube !
La Disparition, c’est celle du PS, que nous diagnostiquions avec les amis Mathieu Sapin et Jean-Pierre Pozzi, dans un documentaire d’abord sorti en salles, toujours disponible sur Canal et désormais également sur la chaîne YouTube de LCP :
La guerre contre le virus
Si vous vous demandez pourquoi l’Elysée, en pleine crise COVID, a fait le choix bizarre de communiquer sur la “guerre contre le virus” plutôt que sur la bienveillance et l’attention aux autres, l’explication est dans une interview de l’ancienne plume d’Emmanuel Macron, Sophie Walon, décrochée par l’excellente lettre Entourages de Fabrice Pozzoli-Montenay.
Extrait: “C'est une question qui avait divisé l'équipe. Dans certains pays, comme l'Irlande ou la Nouvelle-Zélande, les politiques portaient des discours à la fois très factuels et très empathiques, du type « Prenez soin de vous », sonnant l’heure du « cocooning » pour appeler leurs concitoyens à se protéger eux-mêmes et à protéger les autres. En France, on a choisi un autre ton, plus sombre, même martial, pour sonner l’alarme et mettre le pays en état de vigilance maximal. Il faut rappeler que le nombre de morts quotidien était alors terrifiant. Il y a eu des discussions en interne, des dissensions, mais in fine le choix a été fait de mobiliser tous les concitoyens en frappant les esprits, pour être sûr de capter l'attention, susciter la prudence, et endiguer le plus possible la propagation du virus.”
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La Guerre d'Ukraine n'aura pas lieu
Compliqué pour communiquer. Les consignes en anglais, pas le top.
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