Dans le film “Don’t Worry Darling” - qui pourrait se traduire par “Ne t’en fais pas ma chérie” ou “ça va bien se passer” - un groupe d’hommes se sentant humiliés par leurs femmes se voient offrir par un gourou la possibilité de retrouver leur “vraie place”.
Chaque jour, ils payent pour se connecter à une réalité virtuelle qui les “renvoient” dans les années 1960, dans la banlieue d’une ville symboliquement baptisée “Victory”, en plein milieu du désert Californien.
Une époque mythifiée, où les hommes avaient tous un travail, des promotions et des épouses admiratives, occupées à faire le ménage, la cuisine et à élever les enfants, tout en restant sexuellement disponibles.
Le problème, c’est que les épouses sont leurs vraies épouses, qu’elles sont également connectées à la machine, mais en permanence et indépendamment de leur volonté. Sans aucune possibilité d’en sortir.
Si ce film sonne juste, c’est parce qu’il mêle plusieurs réalités politiques contemporaines.
Première réalité : la nostalgie est devenue l’arme politique dominante de notre époque. C’est une évidence pour qui a suivi la campagne de Donald Trump en 2016, avec son slogan “Make America Great Again”, ou celle d’Eric Zemmour en 2022 - qui rejouait l’appel du 18 juin en promettant une “Reconquête”. On pourrait, aussi, mentionner Fabien Roussel et son slogan “Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage”, qui conjure l’image d’une France éternelle et rurale.
Mais il en existe des formes plus subtiles. La communication “rétro” d’Emmanuel Macron, qui n’a pas du tout été comprise, consiste depuis 2017 à reprendre, parfois à l’identique, de grandes scènes historiques.
En 2017, il rejoue l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, en 1981, avec sa démarche lente et délibérée, au son de L’hymne à la joie. En 2020, en Israël, il suit le même itinéraire que Jacques Chirac lors de sa visite historique de 1996. Il va jusqu’à prendre à partie les policiers locaux en copiant, accent compris, le cultissime “This is provocation” de l’ancien Président de la République. La reprise est tellement évidente que de nombreux internautes crient au “plagiat”.
Emmanuel Macron puise encore dans le répertoire chiraquien, mais celui de 1998, lors de la victoire française à la Coupe du Monde de 2018.
Ces restitutions historiques s’accompagnent d’un vocabulaire volontiers passéiste. Celui de la “poudre de perlimpinpin”, où le verbe “ripoliner” et le “rabougrissement” côtoient le “coup de grisou”.
Cette “politique du rétroviseur” n’est pas uniquement française. A l’étranger, le président turc Recep Tayyip Erdogan joue avec le souvenir de l’Empire Ottoman, comme Vladimir Poutine en Russie avec celui de l’époque soviétique.
Loin d’être accessoires, ces invocations occupent un rôle tout à fait central dans la communication de ces dirigeants. Elles permettent de légitimer, ou de donner du sens, à leur politique et à leur impérialisme.
C’est ce qui nous amène vers une seconde réalité: le retour en arrière étant bien évidemment impossible, la nostalgie devient un “nostalgisme”, c’est-à-dire une politique.
La frustration des hommes du film “Don’t Worry Darling”, liée pour le héros principal à son sentiment de déclassement face à une femme chirurgien et beaucoup plus brillante que lui, n’aboutit pas à un retour en arrière. Mais à la création d’une nouvelle forme politique. Ce qu’illustrent très bien les propos du gourou du film:
“Nous pouvons laisser tout ça derrière nous. Tout ce que la société nous a appris à ressentir. Nous pouvons laisser derrière nous le chaos qui règne sous les auspices de l’égalité. Nous pouvons nous enfoncer plus avant dans ce que nous savons être vrai, qui est que nous aspirons à l’ordre, à la façon dont les choses doivent être.”
C’est un discours qui fait écho à celui des communautés masculinistes, qui ont un agenda social.
Ce que l’on souhaite construire, ou ce que l’on construit empiriquement comme Emmanuel Macron - qui en vient à prôner aujourd’hui le retour de l’uniforme, de l’internat ou du service militaire, dans une forme dégradée -, avec le nostalgisme, ce sont en réalité de nouveaux ordres sociaux.
Dans le cas d’Emmanuel Macron, cette logique obéit à un intérêt électoral et aux désirs de ses électeurs très majoritairement âgés. Mais le fait est que le marché électoral de la nostalgie, le nostalgisme, existe et qu’il emprunte désormais de nombreuses formes : masculiniste, identitaire, généraliste, de gauche, de droite ou du centre.
En proposant un faux passé comme horizon indépassable, cette nouvelle donne politique bloque toute discussion rationnelle sur les enjeux actuels des pays où elle prend pied. C’est l’un de ses effets majeurs et certainement le plus préoccupant. Le “again” du “Make America great again” de Donald Trump n’est, bien sûr, pas une projection vers l’avenir. Mais il nous coupe également du présent. Il nous entretient, comme les épouses de “Don’t worry Darling” dans une réalité virtuelle dont il devient impossible de s’échapper. La prison du passé.