Un Président ne devrait pas faire ça
DIRTY POLITICS #23 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
Emmanuel Macron jouant aux échec avec Emmanuel Macron, que j’ai fait réaliser par l’IA MidJourney. J’aime le fait que c’est Macron sans exactement être Macron. Comme l’écrit Joann Sfar sur Instagram: “Je crois qu’il va se passer avec l’IA la même chose qu’au moment de l’invention de la photographie: les artistes humains vont devoir inventer de nouvelles formes”.
“Quel échec…” C’est Apolline de Malherbe qui démarre ainsi son interview ministre Olivier Dussopt, sur BFMTV, au lendemain de la décision de recourir au “49.3”.
Le dialogue est saisissant :
“APDM : Quel échec…
OD : J’crois pas
APDM : Ah non ?
OD : Non je ne crois pas, parce ce serait un échec s’il n’y avait pas de texte. Or, il y a un texte qui a été examiné et adopté par le Sénat, examiné et adopté par la Commission mixte paritaire (…) Effectivement, il n’y a pas eu de majorité à l’Assemblée Nationale (…). Mais ça n’est pas un échec, puisqu’il y a un texte et ce texte sera, si la motion de censure est rejetée, mis en oeuvre.
APDM : Donc vous estimez honnêtement, ce matin, que ce n’est pas un échec de ne pas avoir réussi à ce qu’il y ait un vote. Mais il n’y a pas eu de tentation de vote. Il n’y a même pas eu de vote du tout. C’est la première fois, d’ailleurs, qu’un texte passerait sous la Cinquième République sans jamais avoir été soumis à quelque vote que ce soit à l’Assemblée Nationale. »
La veille, une Assemblée nationale debout entonne La Marseillaise face à une Elisabeth Borne inaudible. La Première ministre sort de la séance en larmes. Le soir même, des émeutes enflamment Paris. Tandis qu’Emmanuel Macron garde le silence. Dans les jours qui suivent, le gouvernement échappe à la censure… à 9 voix près.
J’ai demandé à MidJourney d’illustrer ces événements journées dans le style du dessinateur américain Will Eisner, l’inventeur du “roman graphique” dans les années 1930.
L’interview d’Emmanuel Macron au 13h de TF1 et France 2, devant 10 millions de téléspectateurs, n’a pas permis de sortir de la crise. Elle a, même, amplifié la mobilisation.
Mais ce que les observateurs n’ont, en général, pas compris, c’est que cette interview n’était pas faite pour “apaiser” la situation.
Le but du président était, d’abord et avant tout, de renouer avec sa base électorale, qui est composée de retraités plutôt aisés et conservateurs. Ce qui explique le choix du JT de 13h de TF1. Comme le notait l’enquête IPSOS sur “La sociologie de l’électorat” en 2022: “La majorité présidentielle doit en bonne partie son score à la mobilisation de l'électorat senior, qui a le plus souvent voté pour elle : Ensemble est arrivée en tête chez les électeurs de 60-69 ans (28%), les plus de 70 ans (38%) et les retraités (35%), mais est restée sous les 20% des suffrages dans les tranches d'âge inférieures à 60 ans.”
La tactique suivie est d’apparaître comme un rempart contre la “chienlit”, en incarnant une figure autoritaire, à défaut d’être complètement rassurante. Les éléments de langage sur les “factions et les factieux”, la comparaison de ses opposants avec les émeutiers du Capitole ou l’affirmation que son agenda se fera “à marche forcée” vont dans ce sens.
En exaltant la valeur travail et en garantissant qu’il ne touchera pas au niveau actuel des retraites, le Président veut aussi reconquérir les LR, pour regagner une majorité au parlement. Derrière les roulements de mécanique du Président, la réalité est plus crue. Pour la majorité des observateurs, et j’ai moi-même fait cette analyse dans une interview au Time, le quinquennat d’Emmanuel Macron est terminé sur le plan politique. Le Roi est nu.
Avec ce passage en force de la réforme des retraites, la crise a changé de nature.
C’est, désormais, une inquiétude démocratique qui s’exprime. On la retrouve, cette inquiétude, dans le texte devenu viral de l’écrivain Nicolas Mathieu, qui compare l’exécutif à “des enfants avec une boîte d’allumettes”. Des mots qui ont provoqué la colère de Bruno Le Maire.
On la constate avec surprise dans la mobilisation d’influenceurs comme Léna Situations, EnjoyPhoenix ou Ponce au lendemain du passage du 49.3. C’est avec un sentiment d’urgence, et une gravité nouvelle, que le YouTubeur Inoxtag - 2,7 millions de followers sur Twitter et 6,1 millions sur YouTube - tweete que:
Ces influenceurs sont rejoints par plus de 300 artistes. Parmi eux, des figures comme Audrey Fleurot, Camille Cottin, Philippe Katerine ou Jonathan Cohen.
Bien installés dans notre démocratie, nous nous attendions à ce que, pour citer Montesquieu, “par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.” Un vote de l’Assemblée Nationale, une censure, auraient dû permettre de passer d’une décision individuelle à une décision collective. La “disposition des choses” n’a pas fonctionné.
En France, quand les contre-pouvoirs disparaissent, quand le dialogue s’efface, quand le “je veux” remplace le “nous voulons”, l’inquiétude cède très vite la place à la colère.
Qu’allons-nous faire de cette colère ?
Avis à tous ! Le 6 avril à 19h15 à Sciences Po Paris, j’organise avec Emiliano Grossman une conférence sur “L’influence russe et chinoise dans le débat politique français”. J’aurai le bonheur d’animer cette conférence, avec notamment: Paul Charon, Directeur du domaine Renseignement, anticipation et menaces hybrides de l'IRSEM, Docteur en études politiques de l'EHESS, auteur de Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien, Stéphanie Lamy, Auteure d’Agora Toxica, Plongée au coeur de la désinformation politique, cofondatrice de Danaïdes.org et Cecile Vaissié, Diplômée de l'ESSEC, docteure en sciences politiques, professeure des universités en études russes, soviétiques et post-soviétiques à l'Université Rennes 2, membre de Desk Russie, auteure de Les Réseaux du Kremlin en France.
Un Vladimir Poutine au Kremlin plus vrai que nature… Plus jeune aussi, vu par l’IA.
Très bonne semaine à tous !