Un Roi peut en cacher un autre
DIRTY POLITICS #29 - La Newsletter hebdo de Philippe Moreau Chevrolet
10 000 spectateurs et ça continue ! La vidéo du débat que nous avons organisé à Sciences Po avec le chercheur Emiliano Grossman sur “L’influence russe et chinoise dans le débat politique français” a trouvé son public ! Un immense merci à nos participant.e.s ! De gauche à droite sur la photo : Stéphanie Lamy (Agora Toxica), Cécile Vaissié (Desk Russie) et Paul Charon (IRSEM). A bientôt pour un nouveau débat sur l’influence, en octobre. Nous aborderons le thème des antivax comme nouvelle force politique. En nous inspirant de l’excellente série d’articles consacré à ce sujet par Politico.
Un Roi peut en cacher un autre. Si les visites officielles de Charles III et du pape François en France n’étaient pas “historiques”, elles étaient, en revanche, résolument monarchiques.
Une réception dans la Galerie des Glaces du Palais de Versailles, avec 150 invités aussi nécessaires au plan stratégique que Hugh Grant ou Mick Jagger, des vins à 3 000 euros la bouteille offerts par le producteur, et un carton d’invitation aux noms de “Monsieur le Président de la République Emmanuel Macron et Madame Brigitte Macron”… Le tableau était tellement saisissant qu’il aurait fallu être aveugle pour ne pas le voir.
Comme l’a noté Yann Arthus-Bertrand dans Le Parisien : "Ça manquait de vrais Français ! Pourquoi il n'y a pas un facteur ? Pourquoi il n'y a pas un boulanger ? Pourquoi il n'y a pas les Français de la rue invités chaque fois dans ce genre d'endroit pour profiter de ça ?".
A Marseille, au Stade Vélodrome, c’est la France “fille aînée de l’Eglise” qui devait être célébrée. Mais le pape François, en excellent communicant, a imposé son propre message. Son sermon sur la question des réfugiés, dans la lignée de son célèbre “Qui pleure pour eux ?”, était brillant. Il est parvenu à la fois à condamner sans aucune ambiguïté les positions de l’extrême-droite française, et à la diviser. Tout en se faisant applaudir par une classe politique française tentée par le populisme.
Le pape a parlé au meilleur de nous-mêmes. Sur les plateaux, les intervenants politiques étaient visiblement embarrassés. Il faut dire que nous avons perdu l’habitude.
Que vont penser les “vrais Français” et les “Français de la rue” de cette semaine de communication intense, conclue comme d’habitude par un “20h” et un déluge d’annonces ? Il est difficile de le savoir. Le décalage avec le vécu actuel des Français, dont le recul du pouvoir d’achat est sans précédent depuis plus d’une décennie, n’a jamais été aussi fort. Mais nous aimons la monarchie britannique - c’est l’effet “The Crown” - et désormais la gauche aime le pape.
Si vous trouvez que j’exagère en parlant d’imagerie monarchique, réfléchissez un peu à cela.
Pour la première fois sous la Cinquième République, un Président a entamé des discussions en solitaire avec les partis, en dehors du parlement et à huis clos, pour établir l’agenda de politique générale du pays.
Le chef de l’Etat fait penser à ce magicien des années 1980, au nom tiré d’un roman de Dickens et qui aimait les supermodels. David Copperfield faisait disparaître des monuments. Emmanuel Macron escamote le parlement. Le plus fort est que personne ne s’en rend vraiment compte.
Lors de sa prochaine visite, le pape François serait bien inspiré de nous rappeler ces vers des Grenouilles qui demandent un roi, de Jean de La Fontaine : “Les grenouilles, se lassant / De l'état démocratique, / Par leurs clameurs firent tant / Que Jupiter les soumit au pouvoir monarchique / (…) / Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. / Le monarque des dieux leur envoie une grue, / Qui les croque, qui les tue, / Qui les gobe à son plaisir ; / Et grenouilles de se plaindre. / Et Jupiter de leur dire : “Eh quoi ? votre désir / A ses lois croit-il nous astreindre ? / Vous auriez dû premièrement / Garder votre gouvernement / ””.
Récemment, j’ai répondu aux questions de France Inter sur le thème “Humour & politique”. L’humour n’est pas l’ennemi des politiques. Il est leur allié. Il constitue une arme, un bouclier ou un levier de popularité. Il rend la politique compréhensible et supportable, à une époque où elle ne paraît plus avoir de sens et où nous nous en éloignons.
En 2023, le problème est qu’on pourrait dire du second degré ce que Victor Hugo écrivait du progrès dans Napoléon le Petit, en 1852 : “Chut ! marchons sur la pointe des pieds et parlons bas. Nous sommes dans la chambre d’un malade”.
Victor Hugo savait manier l’ironie, qui est une forme supérieure de la critique politique, dans son adresse à Napoléon III : “Vous donnez de l’argent, mais c’est la main qui le reçoit, ce n’est pas pas la conscience. La conscience ! pendant que vous y êtes, inscrivez-la sur vos listes d’exil. C’est là une opposante obstinée, opiniâtre, tenace, inflexible et qui met le trouble partout. Chassez-moi cela de France. Vous serez tranquille après.”
François Mitterrand a beaucoup usé de l’ironie avec Jacques Chirac, comme en témoigne cet échange resté célèbre :
Cet art du second degré se perd. Il y a tout lieu de s’en inquiéter. Car la politique sans humour n’est, au fond, qu’une forme de violence.
D’ailleurs, dans CallPol, qui a diffusé en série notre entretien, j’ai plaidé pour l’empathie en politique. Il faudrait créer un mouvement pour la bienveillance !
La principale promesse faite à la gauche par le livre de Piketty et Cagé, c’est de pouvoir revenir au pouvoir sans trahir son identité. Là où le Printemps Républicain, par exemple, demandait à la gauche d’adopter la vision de CNEWS en matière d’immigration, via l’opérateur que constitue la notion d’"insécurité culturelle”. Ce chemin existe-t-il vraiment ? L’avenir le dira. La vigueur du débat montre, en tous cas, que Piketty et Cagé ont touché un point sensible.
Brillant !
Un Roi peut en cacher un autre. En l'occurrence ces derniers jours, un roitélé ;-) Merci Philippe de rappeler l'importance de l'humour en politique sans lequel elle n'est que violence.