Jean-Marie Le Pen, mort d'un populiste
DIRTY POLITICS #37 - La lettre de Philippe Moreau Chevrolet
Jean-Marie Le Pen est mort. Dans la rue, quelques groupes sont descendus pour manifester leur joie et célébrer cette mort comme une victoire.
Pourtant, la victoire n’est nulle part.
Ni dans la situation de son parti, qui d’une façon croissante dicte ses conditions aux gouvernements en place.
Ni dans ses idées, qui se sont banalisées au point qu’on parle désormais du “fléau de l’immigration” à Mayotte, alors qu’on est en pleine crise humanitaire. Comme si le cyclone Chido avait été provoqué par un afflux incontrôlé de Comoriens. Comme si l’urgence n’était pas, d’abord, d’aider, de soigner, de faire attention aux autres.
La victoire n’est, surtout, pas dans le style de communication dont Jean-Marie Le Pen a été l’un des précurseurs, et qui domine désormais la vie politique mondiale, dans un système devenu globalisé : le style populiste.
Pour comprendre ce qu’est ce style populiste, il faut faire un détour par l’Histoire.
Dans les années 1980, les communicants français Jacques Pilhan et Gérard Colé inventent, dans ce qu’ils appellent leur “laboratoire” et pour François Mitterrand, une équation purement publicitaire.
Venus de chez Séguéla, leur méthode était inspirée de leur univers d’origine. Ils travaillaient à coup d’affiches et de slogans. “Le socialisme, une idée qui fait son chemin” présentait un candidat habillé en gentleman farmer. “La force tranquille” montrait en arrière-plan un village traditionnel et ciel bleu blanc rouge. “La France unie” offrait un Mitterrand de profil, dans un style “régalien”.
Nous étions dans les années de la “Culture pub”, pour reprendre le titre d’une émission de l’époque, entièrement consacrée à la célébration des spots publicitaires. Glorifier la publicité entre deux publicités, ce concept résume l’époque.
Déclinée en politique, l’idée était de susciter et d’entretenir le désir, par un savant dosage des apparitions publiques, une forme de clair-obscur, où on dévoile, mais pas trop. Avec l’espoir de surprendre, pour entretenir la flamme. Une méthode que l’on a abusivement surnommée la “rareté”.
Les communicants de François Mitterrand sont allés jusqu’à reproduire, en face de l’Elysée, le bureau présidentiel. Pour se rendre dans ce décor en carton-pâte, truffé de caméras, le Président n’avait qu’à “traverser la rue”. Et il se retrouvait en direct à la télévision.
Cette logique publicitaire a dominé l’imaginaire de la communication politique pendant des décennies. Elle a fait école partout dans le monde. Elle est morte, aujourd’hui.
Le style Le Pen, longtemps moqué, voire ouvertement méprisé, s’est imposé. Il faut le disséquer pour le comprendre.
Nicolas Sarkozy a dit un jour que la conquête et l’exercice du pouvoir se fondaient sur des “sincérités successives”. Le style populiste se fonde sur des provocations successives.
Chaque provocation suscite l’outrage. Chaque outrage replace son émetteur au centre de l’attention. Pendant longtemps, cette méthode a été disqualifiante. Au point que, comme dans Le Roi Lear, Jean-Marie Le Pen a fini par être éclipsé par ses filles, et marginalisé.
Au passage, l’une des citations du Roi Lear éclaire parfaitement la situation actuelle. Je l’avais placée en exergue de ma BD Le Président, consacrée au populisme, et réalisée avec le dessinateur Morgan Navarro aux éditions Les Arènes : “C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles.”
Aujourd’hui, l’outrage n’est plus disqualifiant. Il est à la base de la nouvelle économie médiatique, centrée sur les réseaux sociaux et alimentée par une vague massive de désinformation. Comme l’illustre ce génial dessin de Bill Bramhall.
L’indignation est partout, parce qu’elle suscite plus de vues et d’engagement. Elle est, pour dire les choses simplement, plus profitable que la logique d’autrefois, basée sur le désir. Le mot d’ordre “Indignez-vous”, lancé par Stéphane Hessel en 2010, est devenu le moteur politique d’une rentabilité commerciale.
L’annonce de Mark Zuckerberg, qui renonce à modérer l’ensemble des réseaux de Meta, dans une vidéo rappelant les autocritiques publiques des groupuscules maoistes des années 1970, vient de consacrer ce fonctionnement.
Loin de lutter contre nos biais cognitifs, ce qui est coûteux,“non rentable” et par définition impopulaire, certains réseaux sociaux assument désormais ouvertement de faire de ces biais des armes de conquête ou de fidélisation.
Ce faisant, on légitime une économie dont le principe fondateur, contrairement à ce qu’explique “Zuck”, est la négativité, la violence, la dystopie, basculant dans des univers parfois totalement fictionnels, mais se présentant comme une vérité révélée. Le seul metaverse qui fonctionne vraiment étant le conspirationnisme.
Chaque réaction en suscite d’autres. On ancre une polarisation, qui entretient une bulle, dans laquelle on va pouvoir s’installer inconfortablement. Comme sur un mauvais matelas. Nous nous condamnons par définition à être malheureux. Puisque, chacun notre tour, nous sommes blessés par cette négativité, sur laquelle nous fondons, d’une manière croissante, notre système de valeur.
“Il n'y a qu'une chose qui compte, c'est se venger et se venger de manière la plus complète qui soit”, écrivait Boris Vian. C’était dans J’irai cracher sur vos tombes.
Un jour, nous sommes heureux. Un jour, nous dansons sur la tombe d’un adversaire politique. Et le lendemain, parce que nous sommes juif, arabe, LGBTQ+, femme, soucieux de la santé de notre prochain, politiquement modéré… C’est sur nous que l’on danse.
Je vous souhaite une excellente année 2025 ! Et je vous invite à lire également ma précédente chronique, qui traitait d’un sujet proche :
Grande cuvée Philippe. 👏
L'année commence fort. Merci de nous faire goûter au meilleur dès les premiers jours de 2025. 🙏